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bien de monter dans l’intérieur des voitures ; assis sur les marchepieds ou perchés sur l’impériale dans les tenues ou les positions les plus pittoresques, ils envoyaient aux populations rassemblées sur leur passage des cris de joie et des chants de guerre. Les marins de leur côté craignaient de ne plus arriver à temps ; chacun s’informait avec anxiété de la profondeur du Pô, de celle du Tessin et de toutes les rivières qui traversent la Lombardie. Elles ne sont malheureusement pour la plupart que des torrens ou des marécages, où, comme le disaient familièrement nos matelots, « un youyou se serait échoué. » Ce fut alors que M. de Cavour proposa de transporter une des canonnières à Arona, sur les bords du Lac-Majeur, de l’y reconstruire et armer complètement pour donner la chasse au Radelzky et au Benedek, qui désolaient ces rives et frappaient sur les habitans de fortes réquisitions. Les victoires de Garibaldi, en forçant ces deux corsaires de se réfugier dans un port suisse, et la séquestration immédiate opérée par le gouvernement helvétique firent abandonner ce projet. Il était douteux que l’on pût ensuite démonter la canonnière pour la transporter ailleurs. L’amiral, voyant lui-même que la profondeur du Pô n’était point assez grande pour le tirant d’eau de la flottille, proposa d’y construire cinq bateaux plats de 30 mètres de long, calant 70 centimètres, munis des machines, canons et arméniens des cinq chaloupes démontées ; mais l’empereur ne voulait pas que, sous aucun prétexte, on touchât à la petite escadre pour un but étranger à celui qu’il avait arrêté d’avance. Il permit seulement, à titre d’essai, la construction d’une seule de ces longues barques à Casale. On devait prendre pour la faire naviguer et combattre tout ce qui se trouvait sur une des cinq chaloupes complètement armées venues tout récemment de Toulon à Gênes.

L’arrivée inopinée de ces bâtimens tout montés au moment où chacun commençait à croire à l’inutilité de la marine impériale dans l’intérieur de l’Italie causa bien de l’étonnement, et donna lieu à bien des suppositions absurdes. Quelques jours après, on sut qu’un ordre supérieur les avait appelés à renforcer la puissance de la flottille. À une question de l’empereur demandant s’il était possible de transporter ces chaloupes tout entières par les chemins de fer, l’amiral avait répondu affirmativement. Ce nouveau projet ne fut pas toutefois mis à exécution. En effet, les forges et chantiers de la Méditerranée promirent de livrer, dans un délai de quatre semaines, cinq batteries flottantes démontées, à fonds plats, portant chacune deux canons de 24 rayés, se chargeant par la culasse, et munies de deux machines à haute pression de 15 chevaux, faisant mouvoir deux hélices adaptées à chaque bord. Leur tirant d’eau était de 0m70,