Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/143

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme les chaloupes canonnières, ou naviguant mal comme les batteries flottantes, avec un grand nombre de transports de guerre et du commerce lourdement chargés de vivres et de charbon, il était de la dernière imprudence d’aller croiser et mouiller en pleine côte devant Venise. Un désastre comme celui de Charles-Quint près d’Alger, un ouragan comme celui du 14 novembre 1854 à Sébastopol, étaient deux dangers à éviter. Il fallait donc à nos vaisseaux un abri contre la tempête, une retraite assurée, des magasins, des hôpitaux, une base d’opération ; en un mot, il nous fallait un Kamiesh. Le choix de l’amiral se porta sur l’île de Lossini, une des plus grandes de l’archipel de la côte de Dalmatie. Lossini a un port spacieux nommé Augusto, parfaitement sûr, d’un abord facile et d’une défense aisée, La position de cette île, à vingt lieues de Venise, très près de Pola, en face d’Ancône et de Rimini, qui était alors la tête du télégraphe franco-italien, permettait à l’escadre de surveiller les points les plus intéressans de la côte, de resserrer son blocus, et plus tard de prendre son élan, loin des regards de l’ennemi. L’importance stratégique d’un pareil point était tellement évidente que tout le monde croyait y trouver une résistance des plus énergiques.

Le premier groupe, parti d’Antivari, sous les ordres de l’amiral Desfossés, était composé des vaisseaux la Bretagne, le Redoutable, de la frégate à roues le Mogador remorquant la batterie flottante la Lave, de huit canonnières, de la frégate sarde le Victor-Emmanuel, de deux avisos et du transport l’Ariège. Il se trouva le 3 juillet au matin devant le port Augusto. L’escadre fit son entrée dans la passe en ordre de bataille et en branle-bas de combat ; mais il n’y avait nul indice de défense, et l’on mouilla tranquillement à 300 mètres de la ville, située au fond et au sud de cette magnifique rade fermée. Les Autrichiens avaient tout évacué, oubliant ainsi qu’avec la vapeur cette île devenait entre nos mains comme la première parallèle creusée devant Venise.

Le 3 au soir, les huit compagnies formant les colonnes d’assaut furent débarquées. En attendant que l’ordre d’attaquer vînt à la flotte, on employa les journées du 4, du 5 et du 6 à s’établir fortement dans l’île et à compléter le charbon des bâtimens. On mit à terre plus de 300 tonneaux de vivres, des munitions de toute espèce, des outils et les appareils distillatoires pour faire de l’eau douce, dont Lossini manque totalement. Les bâtimens de la flotte de siège, armés à la hâte à Toulon, mais pourvus d’excellens matelots canonniers, firent des exercices à feu. Les batteries flottantes, qui ne vont au combat qu’avec leur coque, furent démâtées. Les vaisseaux se débarrassèrent des cordes, des voiles et des mâts de perroquet, inutiles dans un combat sous vapeur et à l’ancre, et dont la chute sur