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I.

Dès le commencement de la guerre, la marine autrichienne avait renoncé à toute idée de lutte de bâtimens à bâtimens contre la marine française. L’ennemi s’enferma dans ses ports, coula une partie de ses navires à l’entrée des passes, ou les désarma complètement pour transporter les canons et les équipages dans les forts de la terre ferme ; il nous livra la mer, et nous permit ainsi de choisir sûrement notre point d’attaque. En détruisant de leurs propres mains un matériel assez considérable sans le faire combattre, les Autrichiens se mettaient dans une position des plus désavantageuses. Les Américains en 1812, dans la guerre qu’ils soutinrent contre l’Angleterre, avaient donné un plus noble exemple de ce que peut une marine décidée à racheter, en présence de l’ennemi, l’infériorité du nombre par la rapidité des mouvemens. Avec un petit nombre de frégates à voiles d’une grande vitesse et armées d’une artillerie formidable, ils battirent la mer, s’attaquant à leurs égaux en force, tombant sur les faibles, et croisèrent jusque dans la Manche. Aidés de la vapeur, les Autrichiens pouvaient imiter cette tactique. Profitant des nombreux refuges qu’offrent les archipels de l’Adriatique et de la Méditerranée, ils pouvaient jeter le trouble dans nos convois, causer des pertes énormes à notre commerce, et nous empêcher d’agir en quelque sorte à coup sûr. Dans leur marine naissante, ils créaient ainsi une brillante tradition qui lui manque encore. Rien ne doit affaiblir l’énergie morale d’un corps d’officiers comme le suicide complet de toute une marine.

Servi par la maladroite attitude de l’Autriche, le contre-amiral Jurien de La Gravière put donc partir avec une escadre réduite à deux vaisseaux, une frégate et un aviso, pour croiser dans l’Adriatique. Il appareilla de Toulon le 5 mai 1859, et notifia le <span class="coquille" title="1er juin">16 mai, à son arrivée devant Venise, le blocus effectif de tous les ports de guerre de l’Autriche. L’escadre de blocus, comme elle s’appela, trouva Venise dans un état formidable de défense. Les Autrichiens avaient encore augmenté par des forts redoutables toutes les difficultés que présentent les lagunes à l’attaque de cette place. Deux îles, espèces de langues de terre très basses et très minces, forment par leurs extrémités trois passes étroites. Ce sont, à commencer par le nord, celles du Lido, de Malamocco et de Chioggia. Chacune de ces îles était bornée par une ligne d’estacade et une rangée de navires coulés. La première était défendue en outre par le fort du Lido, la seconde par ceux d’Alberoni, de San-Pietro et la jetée de Malamocco, la troisième par le fort et le bastion Caraman, le fort