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En lisant l’histoire déjà longue de notre domination en Algérie, comme en examinant les traces déjà profondes qu’elle a laissées sur le sol, on est frappé du mélange de persévérance et d’incertitude que les divers gouvernemens de la France ont porté dans cette grande entreprise : persévérance dans l’effort, incertitude dans le but. Je ne parle pas seulement de l’indécision si longtemps funeste qui présida à la conduite de nos opérations militaires : on sait combien de tactiques différentes furent essayées avant que l’Afrique eût produit son grand général et enfanté sa véritable armée ; l’on peut compter encore de lieue en lieue, sur la route de Constantine et dans les gorges de l’Atlas, les étapes de toutes nos fausses démarches, marquées par le sang de nos soldats. Je ne parle pas seulement non plus des confuses délibérations qui s’élevèrent si souvent, dans nos conseils de gouvernement, sur les limites qu’il convenait d’imposer à notre domination. L’occupation restreinte et l’occupation étendue faisaient alors tous les frais du débat ; l’une et l’autre ont été singulièrement dépassées, et la plus étendue d’alors paraîtrait aujourd’hui terriblement restreinte. Je ne parle pas enfin davantage de toutes les révolutions qu’a subies l’organisation intérieure de l’Algérie, et de ces volumes de décrets dont la collection effraie, mais dont la lecture est heureusement inutile, parce que chaque page a pris soin d’effacer et d’annuler la précédente. Ce qui est peut-être plus singulier, c’est que le doute ait porté non-seulement sur la manière de s’y prendre pour atteindre le but, mais sur le but même qu’on se proposait, c’est que pendant bien des années il n’y ait pas eu parmi les juges les plus compétens deux personnes pleinement d’accord sur le parti qu’on pouvait tirer de nos possessions africaines, et qu’aujourd’hui, après tant de sang répandu, d’espace conquis, de lois faites et de livres écrits, beaucoup de confusion et d’incertitude règne encore à ce sujet dans l’esprit public.

Cette singularité s’explique par ce qu’il y eut d’accidentel et d’arbitraire dans l’événement qui a fait tomber l’Afrique septentrionale sous notre empire. Un point d’honneur a porté nos armes sur cette plage, un point d’honneur les y a retenues et disséminées sur deux cents lieues de territoire ; mais de projet de conquête et d’espérance de profit, il n’y en avait nulle trace dans l’esprit de ceux qui dirigèrent la première expédition et qui en recueillirent les premiers fruits. Ce ne fut en vertu d’aucun plan arrêté ni même pour répondre à aucun intérêt éveillé que la France s’engagea dans une entreprise où elle rencontrait l’inconnu en toutes choses, hommes, sol et climat.