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mot n’est pas dit encore. La guerre du Maroc est venue tout effacer : elle a été et elle ne cesse d’être une émouvante diversion dans un pays depuis si longtemps replié en lui-même ; elle ne change pas l’essence de la politique espagnole, elle ne fait que jeter momentanément un voile sur une situation intérieure dont le principal caractère est l’indécision et la confusion. Le système du général O’Donnell, ce système dont les circonstances expliquent l’avènement et le succès jusqu’ici, avait l’avantage d’apparaître comme un remède à ce mal profond et chronique, comme un moyen de constituer une situation nouvelle. En elle-même, l’idée du comte de Lucena est évidemment une idée heureuse qui a fait la force de celui qui l’a adoptée comme un drapeau. Par le fait, elle s’est trop souvent égarée dans des considérations d’intérêt personnel qui ont paru quelquefois en atténuer les résultats, et si elle devait rester avec ce caractère dominant d’une personnalité trop absorbante, elle finirait à la longue par déguiser sous un air libéral une idée assez absolutiste, celle de l’arbitrage d’un pouvoir supérieur à tous les partis, indépendant des opinions organisées, se fortifiant ou croyant se fortifier des divisions et des faiblesses de tous. Ceux qui prétendent gouverner sans les partis et ceux qui prétendent les amalgamer tous méconnaissent également les conditions de la liberté et du système constitutionnel. Les partis sont un organisme essentiel de ce régime ; ils sont la représentation vivante et légitime des traditions, des vœux, des instincts divers d’un pays ; ce sont des forces collectives qui, par leur contradiction même, empêchent toutes les usurpations. C’est le jour où les partis ont commencé de se décomposer au-delà des Pyrénées, que le système constitutionnel a été menacé par ceux qui voulaient le ramener vers l’absolutisme et par ceux qui voulaient le pousser vers l’anarchie. C’est par les divisions que le parti modéré, le plus vraiment constitutionnel de la Péninsule, s’est affaibli ; c’est en se reconstituant, en se ralliant sous le drapeau d’une pensée sincère de libéralisme conservateur, qu’il peut retrouver son ascendant, et alors une guerre comme celle du Maroc ne sera plus seulement un épisode accidentel et heureux : elle sera l’acte de vie d’une nation qui n’a besoin que d’avoir des institutions stables et d’être conduite pour retrouver des destinées nouvelles.


CHARLES DE MAZADE.