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ces limitations imposées à l’action de l’Espagne, toute cette partie officielle et intime de la question africaine, c’est là ce que ne savait pas l’opinion publique, et lorsque le jour s’est fait sur ces négociations, l’opinion et le gouvernement ont paru suivre des voies différentes. Le mécompte de l’esprit public a éclaté ; il a redoublé lorsque le cabinet est allé demander aux cortès l’aggravation de toutes les contributions, car l’importance des appareils militaires- et des sacrifices financiers semblait dès lors disproportionnée avec le but qu’on poursuivait.

On l’a dit avec raison à Madrid dans une brochure qui a paru sous le titre de Aspecto diplomatico de la cuestion de Marruecos, et dont la circulation a été interdite. Le principe même de la guerre admis, il l’avait deux politiques possibles pour le gouvernement de la reine Isabelle ; l’Espagne pouvait agir rapidement, vigoureusement, sans laisser au Maroc le temps de se réfugier dans les subterfuges, en n’allant point au-delà d’un acte de justice sommaire, d’une vengeance exemplaire tirée de l’outrage fait à son pavillon. Par ce système, de grands sacrifices étaient épargnés au pays, la diplomatie étrangère n’avait pas le temps d’intervenir, et l’Espagne montrait par un coup de vigueur et d’éclat qu’elle savait au besoin sauvegarder son honneur. Il l’avait une autre politique, celle d’une guerre acceptée avec toutes ses chances et ses sacrifices dans une vue de civilisation et d’agrandissement moral et territorial ; mais alors il ne fallait pas se laisser lier par des engagemens dont la dignité même du pays, avait à souffrir. Chose étrange, le cabinet de Madrid n’a exclusivement adopté aucune de ces politiques ; mais il les a mêlées, et en élevant ses forces et ses préparatifs au niveau des plus grands desseins, il s’est laissé imposer d’avance un résultat diplomatiquement restreint, ramené à une simple réparation d’injure : de telle façon que le général O’Donnell s’est trouvé subitement dans l’alternative de perdre pour sa position personnelle le prix de la diversion patriotique qu’il avait recherchée, ou de suivre l’impulsion du sentiment national en confiant l’interprétation de ses engagemens à l’imprévu de la guerre et de la victoire, au risque de renouveler une crise européenne dont le cabinet de Madrid avait refusé de prendre la responsabilité à l’origine. Lorsque la France, en 1830, allait à Alger, elle marchait aussi vers l’inconnu, elle ne savait pas en partant ce qu’elle ferait ; mais elle avait refusé de se lier, et en suivant sa fortune, elle a pu quelquefois mécontenter l’Angleterre sans manquer à des engagemens comme ceux qui fixent en ce moment une limite à l’épée de l’Espagne.

Voilà donc où l’Espagne se trouve conduite à travers une série de luttes ou d’évolutions plus intimes qu’éclatantes, et dont le dernier