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sous sa propre sauvegarde l’indépendance du littoral africain. Pour tout dire, l’Angleterre a pris un peu envers l’Espagne en cette affaire l’attitude d’un créancier dur et inflexible qui lie son débiteur et lui impose des conditions. Que dit l’Angleterre par l’organe de lord John Russell parlant ail représentant britannique à Madrid ? « Vous êtes chargé de demander une déclaration écrite portant que, si dans le cours des hostilités les troupes espagnoles occupent Tanger, cette occupation sera temporaire et ne se prolongera pas au-delà de la ratification d’un traité de paix entre l’Espagne et le Maroc, parce que, si l’occupation devait durer jusqu’au paiement d’une indemnité, elle pourrait arriver à être permanente, et aux yeux du gouvernement de sa majesté, une occupation permanente serait incompatible avec la sécurité de Gibraltar (22 septembre 1859). » Et quelques jours plus tard, le 15 octobre : « Vous direz au ministre des affaires étrangères que le gouvernement de sa majesté désire ardemment qu’il n’y ait aucun changement de possession territoriale sur la côte mauresque du détroit. L’importance qu’il donne à cet objet n’est nullement douteuse, et il lui serait impossible, de même qu’à toute autre puissance maritime, de voir avec indifférence l’occupation permanente par l’Espagne d’une semblable position sur cette côte, position qui permettrait de troubler dans le détroit le passage des navires qui fréquentent la Méditerranée pour les opérations commerciales. »

Et que répond le cabinet de Madrid à ces significations assez impérieuses ? Le ministre des affaires étrangères, M. Calderon Collantes, écrit en effet que si Tanger est occupé, il ne le sera que temporairement, jusqu’à la ratification de la paix. En réservant une certaine indépendance générale d’action et le choix des garanties qui seront réclamées, il déclare néanmoins que « l’Espagne ne prendra dans le détroit aucun point dont la position pourrait lui assurer Une supériorité périlleuse pour la navigation. » L’Angleterre ne pouvait exiger mieux et plus. On a pu croire, on a supposé que l’Espagne n’avait contracté ces obligations qu’après avoir pris le conseil de la France, après avoir acquis la certitude qu’elle ne serait point appuyée. Sans prétendre scruter ces mystères, on pourrait peut-être dire tout le contraire, et de là est née l’importance presque européenne qu’a paru prendre un moment la guerre du Maroc.

Le cabinet de Madrid, si nous ne nous trompons, s’est donc lié en pleine connaissance de cause, lorsqu’il n’eût tenu qu’à lui de présumer qu’il pourrait marcher en avant, et s’il a pris ce parti, c’est vraisemblablement après avoir consulté la situation générale de l’Europe, en songeant que l’intérêt espagnol pourrait bien à un jour donné ne pas prévaloir sur d’autres nécessités. Or ces engagemens,