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Afrique qui fait face à l’Espagne dans la Méditerranée, avant que d’autres ne le fassent au préjudice de notre repos, de notre navigation et de notre commerce. Ceci est un point inséparable de nos intérêts, et sur lequel il faut toujours avoir l’œil fixé… Les procédés utiles et généreux du roi de Maroc pendant la guerre avec l’Angleterre exigent de notre part de la gratitude et de la réciprocité. Nous devons tâcher de vivre en bonne amitié avec le prince maure et avec son successeur, s’il veut s’y prêter. Si, par malheur, cela ne se peut, nous devons aussi nous rendre maîtres de cette côte en prenant et fortifiant Tanger. Faute de cela, nous n’aurons jamais de sécurité dans le détroit ; notre commerce et notre navigation ne pourront fleurir dans la Méditerranée… » C’était encore le temps des longues pensées en politique. L’Espagne s’est laissé devancer dans cette œuvre de prise de possession du nord de l’Afrique ; elle n’a jamais renoncé entièrement à d’anciennes traditions. Il l’a douze ans à peu près, dans une de ces discussions sérieuses et élevées comme il l’en a eu quelquefois au sein du parlement espagnol, un esprit aussi brillant que hardi, Donoso Cortès, traçait le programme de ce qu’il appelait la politique des intérêts permanens pour l’Espagne.

Aux yeux de Donoso Cortès, il y avait deux intérêts essentiels, permanens pour la Péninsule, puisque sa position entre les Pyrénées et la mer ne lui permettait pas d’autres espoirs : il ne devait l’avoir à Lisbonne, à l’entrée du Tage, d’autre majesté, que la majesté portugaise ; « la domination exclusive de l’Angleterre en Portugal était un opprobre » pour tout gouvernement vivant à Madrid. Et d’un autre côté l’Espagne devait avoir sa part dans la civilisation du nord de l’Afrique ; c’était une question d’honneur, de sécurité, d’avenir. Il l’a mieux : la France elle-même ne pouvait, sans la coopération active de l’Espagne, s’assimiler sérieusement l’Afrique, et Donoso Cortès en donnait les plus curieuses raisons, dont la première était l’incompatibilité des génies et des caractères. « Entre la civilisation française et la civilisation africaine, disait-il, il n’y a aucun point de contact, et il l’a toutes les solutions de continuité possibles : solution de continuité géographique, puisque entre la France et l’Afrique est l’Espagne ; solution de continuité physique, car le soleil espagnol brille entre le soleil français et le soleil africain ; solution de continuité morale, car entre les mœurs raffinées, cultivées, de la France et les mœurs barbares, primitives, de l’Africain, il l’a les mœurs espagnoles, à la fois primitives et cultivées ; solution de continuité militaire, parce qu’entre le général français et le chef africain il l’a cette espèce qui sert de trait d’union, le guérillero d’Espagne ; enfin solution de continuité religieuse, car