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La diplomatie espagnole, faisant alors un pas de plus, désignait comme point extrême de la frontière nouvelle à tracer la ligne de la sierra de Bullones, qui est à quelques lieues en avant de Ceuta, et alors aussi le représentant de l’empereur du Maroc, malgré les pleins pouvoirs qu’il avait reçus, se déclarait sans instructions suffisantes pour cette cession de territoire. De là, après des délais successivement prorogés jusqu’au 15 octobre, la rupture diplomatique, suivie immédiatement de la déclaration de guerre, qui est allée retentir en Espagne. On le remarquera, le cabinet de Madrid aurait pu, sans nul doute, s’arrêter dès le premier moment, après les concessions qui lui étaient faites, à la condition toutefois de n’être point difficile sur l’exécution de ce qu’on lui accordait. Il se trouvait placé entre des promesses probablement fort illusoires, peu efficaces, et la nécessité d’aller chercher lui-même par les armes les réparations et les garanties qu’il réclamait : il a choisi ce dernier parti ; mais quelle était sa pensée et quel est encore le but qu’il poursuit ? Ici la question apparaît sous un double aspect, dans ses rapports avec l’intérêt ou plutôt le sentiment national espagnol et avec les intérêts étrangers, prompts à s’émouvoir de tout conflit naissant aux portes de la Méditerranée, dans le détroit de Gibraltar.

Cette guerre du Maroc a produit évidemment au-delà des Pyrénées une vive commotion d’opinion ; elle est apparue entourée du prestige des vieux souvenirs, comme la réalisation lointaine de la pensée d’Isabelle la Catholique. Dès qu’on ne se contentait plus de concessions modestes qui auraient peut-être pu maintenir la paix sans compromettre la dignité du nom espagnol, l’esprit public a dû s’attacher à cette idée qu’il allait chercher des compensations plus larges comme prix de la lutte, qu’il allait à son tour servir un intérêt de civilisation en plaçant la sécurité de ces côtes africaines sous la protection de la puissance espagnole, et il s’est ému à la pensée qu’il allait servir ces intérêts sous la forme populaire d’une guerre contre les Arabes.

Ce n’est point d’aujourd’hui que l’Espagne voit dans ces contrées du nord de l’Afrique un des champs naturels ouverts à son ambition et à son activité. Elle n’a pas seulement pour guide son vieil instinct d’antipathie contre le Maure, elle se retrouve en présence de ses plus sérieuses traditions. Une instruction secrète, rédigée par le ministre Florida Blanca, sous l’inspiration du roi Charles III, pour la junte d’estado ou des affaires étrangères, révèle l’incessante préoccupation de la politique espagnole, et il est curieux de retrouver ces souvenirs d’un autre temps. « Si l’empire turc périt dans la grande révolution qui menace tout le Levant, — disait-on il l’a près d’un siècle à Madrid, — nous devons penser à acquérir la côte d’