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de la situation. « Ces débats, disait-il, n’ont-ils pas mis pleinement en lumière le fractionnement des partis ? N’en résulte-t-il pas cette vérité, qu’aucun d’eux n’est à lui seul dans les conditions nécessaires pour former un gouvernement capable de maintenir l’ordre, la légalité, le trône de la reine et le régime constitutionnel ? » Quelquefois aussi ces vivacités parlementaires, qui dégénèrent si souvent en personnalités violentes et en confusion, servaient merveilleusement le général O’Donnell. Dans une circonstance, un de ces souvenirs irritans qui mettent les partis aux prises en ravivant toutes les antipathies du passé traversait subitement la discussion. Il s’agissait de la statue de M. Mendizabal, et M. Mendizabal ramenait aux vieilles luttes entre modérés et progressistes. Le tumulte envahissait le congrès, et le président du conseil, saisissant l’à-propos, se hâtait d’intervenir en pacificateur un peu sévère. « Qu’on rappelle à l’ordre tous les députés, disait-il, nous discréditons le gouvernement représentatif. Une telle scène est un triomphe pour les ennemis du régime constitutionnel. Je prie M. le président et le congrès de mettre un terme à cette discussion, afin que nous ne donnions pas aux ennemis du gouvernement représentatif le droit de dire que ce régime est impossible en Espagne. » Et ce tumulte avait de plus pour le ministère l’avantage de faire disparaître cette question de la statue de Mendizabal, qui était un véritable embarras. C’est ainsi que le général O’Donnell manœuvrait sur le champ de bataille parlementaire, portant le plus souvent la guerre chez ses adversaires, profitant habilement des circonstances, s’armant à tout instant de cette dissolution des partis, à laquelle il n’était point étranger, et finissant par représenter sa politique comme la dernière et unique garantie du régime constitutionnel en Espagne. Ce n’était pas, quoi qu’on en dise, d’un médiocre tacticien, à ne considérer que la situation personnelle du premier ministre.

Une autre difficulté, à vrai dire, était à vaincre pour le général O’Donnell : c’était d’éviter les divisions dans son propre camp. Les amis du ministère, modérés ou progressistes ralliés à l’union libérale, avaient tenu, eux aussi, à s’expliquer, à préciser leur position et la mesure de l’appui qu’ils prêtaient au gouvernement. Les progressistes surtout, dont l’évolution un peu subite n’avait point échappé à la raillerie, se sentaient pressés de ne plus rester dans le rôle de ministériels silencieux. Deux hommes notamment, M. Luzurriaga dans le sénat, M. Modesto Lafuente dans le congrès, se chargeaient de ces explications délicates, et leur langage pouvait se résumer à peu près en ces termes : « Nous croyons que la société n’est pas dans ses conditions normales, et quand nous voyons un gouvernement disposé à soutenir l’ordre, le système parlementaire,