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et les progressistes préféraient le général O’Donnell et l’union libérale aux modérés.

Le généra ! O’Donnell avait-il donc absolument tort lorsqu’il proclamait incessamment la dissolution des anciens partis ? Était-il dénué de perspicacité lorsqu’il comptait justement sur l’impuissance inhérente à cette dissolution des opinions d’autrefois ? Sans doute, il pouvait s’exagérer à lui-même ce qu’il désirait, ce qui entrait dans ses vues ; il se montrait surtout plus homme d’expédient qu’homme d’état, en pensant qu’avec des débris de partis il pourrait faire un parti nouveau. La décomposition n’était pas moins réelle ; elle se découvrait naïvement dans ces discussions parlementaires, et le général O’Donnell déployait toutes les ressources d’une stratégie assez monotone, bien que le plus souvent heureuse, pour prendre sur le fait, pour provoquer même ces explosions d’incohérence, en mettant aux prises ceux qui accusaient l’ambiguïté de sa politique et ceux qui lui reprochaient sa témérité. Un jour, vivement attaqué dans le sénat par le duc de Rivas, le général O’Donnell se tournait vers son adversaire, mettant l’opposition en demeure de dévoiler à son tour ses idées, et il s’écriait : « Le duc de Rivas approuve-t-il le programme de gouvernement que nous ex--posa il l’a un an M. Bravo Murillo ? Sa seigneurie me dit que non, je n’ai plus rien à ajouter. A côté de cette dénégation, mes paroles sembleraient pâles. Entre le duc de Rivas modéré et M. Bravo Murilio également modéré, il n’y a donc point conformité de vues. » En autre jour, pressé dans le congrès par M. Olozaga, le comte de Lucena, sortant brusquement de la politique, s’adressait à son antagoniste et lui rappelait qu’il n’aurait pas refusé de servir comme ambassadeur à Londres, tandis que lui O’Donnell devenait président du conseil à Madrid le 14 juillet 1856 ; puis, se tournant, vers un autre progressiste de l’opposition, le chef du cabinet disait : « M. Calvo Asensio accepterait-il des fonctions que je lui offrirais ? — Non, répondait le député interpellé. — Et voilà justement la contradiction entre M. Olozaga et M. Calvo Asensio, » ajoutait O’Donnell.

Ainsi le duc de Rivas était un modéré, et il différait d’opinion avec M. Bravo Murillo, dont la politique n’était point assurément celle du comte de San-Luis ou de M. Pidal. Entre M. Calvo Asensio et M. Olozaga, tous deux progressistes opposans, il l’avait les mêmes divergences, sans compter que les opinions de l’un et de l’autre étaient incompatibles avec l’ordre constitutionnel existant. Ces dissidences ou ces incompatibilités, le général O’Donnell les constatait, il les exagérait même pour en tirer la justification de la politique du ministère. C’était naturellement pour lui la moralité