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orageuses étaient rapportées par la presse avec accompagnement de plaisanteries et de commentaires. En un mot, c’était le régime parlementaire au petit pied. Je croyais rêver ou rajeunir.

Une singularité nuisait pourtant à l’exactitude de cette reproduction et empêchait la miniature de ressembler tout à fait à l’original. Dans cette guerre faite aux pouvoirs existans et soutenue par eux, l’attaque semblait jouir d’une liberté qui était refusée à la défense. La presse assaillante, celle qui demandait la réforme complète et radicale de tout le régime en vigueur dans la colonie, avait le verbe haut et les coudées franches ; elle abordait la question de front, incriminait nominativement les administrateurs, recevait, provoquait même les dénonciations des administrés, faisait peser tantôt sur les individus, tantôt sur les institutions en masse les plus graves et parfois les plus injurieuses imputations. Les conservateurs au contraire avaient le langage timide, et ne répondaient qu’à mots couverts, par des insinuations détournées et des réticences significatives. Évidemment la lutte n’était pas égale, et les conditions en étaient troublées par ce qu’on appelait dans le bon temps du régime constitutionnel une influence extra-parlementaire. Je ne fus pas longtemps sans être mis dans le secret de cette bizarrerie. C’était de Paris, et non d’Alger, que se faisait sentir cette force étrangère et supérieure qui soutenait l’opposition et décourageait la résistance. Il n’y avait pas longtemps en effet qu’une modification importante venait d’être opérée au sommet même du pouvoir qui présidait aux destinées de l’Algérie. Le poste de gouverneur-général, dont la résidence était à Alger, avait été supprimé. À sa place, un nouveau ministère était créé à Paris, réunissant dans ses attributions l’Algérie et toutes les colonies françaises d’outre-mer, et ce n’était pas seulement le siège, c’était la nature même du pouvoir et la qualité de son représentant qui changeaient. Jusque-là le gouverneur-général avait toujours été un militaire et le chef même de l’armée d’Afrique. Le nouveau ministre était un prince dont la jeunesse ne s’était point passée dans les camps, et qui n’avait figuré qu’accidentellement à la tête d’un corps d’armée. Cette substitution était grave ; on s’attendait généralement qu’elle ne serait pas la seule, et que de la tête la réforme passerait aux membres. L’administration ancienne, trop empreinte de l’influence de l’armée, aurait une composition et serait inspirée d’un esprit moins militaires. Le régime du sabre finissait ; le jour du pouvoir civil était venu. Tel était, disaient les gens bien informés, le dessein du prince-ministre. En attendant, l’ancienne administration, déjà altérée dans ses traits essentiels, se croyait donc condamnée d’avance, et ne défendait plus que mollement des prérogatives conservées seulement à