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circonstances. On remarquera que, dépouillé de l’artifice du langage, ce système n’avait rien d’absolument nouveau ; c’était un jeu d’équilibre. Par la rectification des listes électorales et par la dissolution du congrès comme par l’appât des emplois publics, le cabinet s’efforçait d’attirer les progressistes ; par ses déclarations décisives en faveur du maintien de la constitution réformée, il voulait calmer les inquiétudes et les défiances des modérés. Le ministère en était-il plus fort ? Dans ces premiers momens, il avait à subir plus d’une crise intime, que ses ennemis grossissaient en mettant habilement en lumière les contradictions de cette politique, en supposant des antagonismes dans le cabinet, en montrant ce faisceau de volontés, de tendances, d’intérêts divers, toujours prêt à se dissoudre. Une de ces crises se dénouait par la retraite du général Quesada, ministre de la marine, qui, à l’insu du président du conseil, avait obtenu de la reine la nomination d’un amiral. Ce n’était rien en apparence, et au fond l’existence du cabinet ne tint peut-être qu’à un fil. Il n’y a qu’un amiral de la flotte en Espagne, et justement parce qu’il est seul, il a une grande influence dans toutes les affaires de la marine. Ce haut personnage était alors et est encore aujourd’hui le général Armero, que ses opinions rattachent à l’union libérale. La nomination d’un second amiral, qui avait peut-être moins de goût pour la politique nouvelle, était comme une diminution indirecte de la position du général Armero et une atteinte aux prérogatives du président du conseil. Le général O’Donnell prit fort mal cette tentative d’indépendance d’un de ses collègues. Le ministre de la marine dut se retirer, et fut remplacé par un ami dévoué du chef du cabinet, par le général Macrohon (novembre 1858). Quant au nouvel amiral, il garda son grade, puisque la signature de la reine était engagée ; mais il ne fut plus qu’un amiral honoraire. Le ministère naviguait à travers des écueils nuisibles, en même temps qu’il avait à faire face aux partis prêts à se retrouver autour du scrutin.

Tout résidait en effet dans le degré de vitalité et de résistance de ces partis, que le général O’Donnell prétendait supprimer ou absorber. Quelles étaient les dispositions et l’attitude réelle des diverses fractions des anciennes opinions ? Parmi les modérés, il en était évidemment qui inclinaient depuis longtemps vers quelque transaction semblable à celle de l’union libérale, et qui n’éprouvaient nulle répugnance d’opinion à s’associer à la tentative du comte de Lucena. M. Martinez de La Rosa acceptait la présidence du conseil d’état ; M. Mon se laissait volontiers nommer ambassadeur à Paris ; le chef du dernier cabinet, M. Isturiz lui-même, allait reprendre à Londres le poste de ministre de la reine, qu’il avait