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lieux où l’on fait une guerre active aux renards, les renardeaux, avant d’avoir pu acquérir aucune expérience, se montrent dès leur première sortie du terrier plus précautionnés, plus rusés, plus défians que ne le sont les vieux renards dans les cantons où on ne leur tend pas de pièges.

Ces faits, soit dit en passant, prouvent que les animaux ne sont pas aussi stationnaires qu’on le répète souvent, qu’il y a pour eux une sorte de civilisation et un progrès qu’on n’a pas assez constatés. Rien n’établit que les animaux domestiques des peuples sauvages soient aussi intelligens que ceux qui vivent près des hommes les plus civilisés. Il peut y avoir une sorte de perfectibilité chez l’animal comme chez les races humaines inférieures ou abâtardies ; mais de même que pour ces races le mouvement ascensionnel est extrêmement lent tant que l’homme civilisé ne se fait pas leur éducateur, l’animal ne s’élève qu’à des actes fort restreints d’intelligence tant qu’il n’est pas placé dans la domesticité.

L’hérédité assure donc aux générations futures l’aptitude intellectuelle que nous avons acquise comme les fruits de notre travail et de notre expérience. Le fonds de santé, de vertu et de beauté amassé par nous peut passer à nos descendans et s’accroître encore entre leurs mains, s’ils savent l’exploiter avec économie. Nous marchons toujours, il est vrai, sur le bord du précipice ; mais la dégénérescence morale et physique est un moindre danger pour l’humanité, quand ceux qui l’ont pour ainsi dire en leur pouvoir prennent le soin de détourner de la tête de leurs enfans les effets désastreux qu’elle ne manquerait pas d’avoir par suite de leur imprévoyance et de leur égoïsme. Noblesse ou déchéance, tels sont les deux termes entre lesquels oscille l’humanité. L’oscillation continuera encore longtemps ; mais, contrairement aux lois du pendule, tandis que la moitié ascendante de la trajectoire s’allonge tous les jours, l’autre moitié se raccourcit. Ne calomnions donc pas la civilisation ; elle nous a déjà sauvés de bien des causes de dégénérescence et de misère : la science, qui est par excellence son fruit, nous révèle peu à peu les conditions nécessaires pour éviter les effets de celles qui subsistent encore ; elle nous montre sur quelles pentes l’homme roule jusqu’à la dégradation, quels sommets il peut atteindre à force de sagesse et de persévérance ; elle fait luire à notre horizon un avenir plus prospère, vers lequel nous ne tendons qu’en louvoyant, mais qui est le terme marqué de notre navigation.


ALFRED MAURY.