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des intérêts importans et de soulever en Europe des difficultés graves pour la mince satisfaction de gagner un lopin de montagnes. Si nous regardons aux faits connus, il nous paraît téméraire d’engager dans l’opinion un débat sur l’annexion de la Savoie. D’abord il n’a pas été possible encore de citer une parole officielle ou un acte du gouvernement français d’où l’on pût inférer qu’il a émis avec précision une telle exigence, qu’il en a établi les conditions et fixé l’échéance. La version la plus plausible est que la cession de la Savoie eût pu s’accomplir dans le cas où la Vénétie eût été conquise sur l’Autriche et transférée au Piémont. Cette condition ne s’est pas réalisée : la remplacerait-on par l’éventualité de l’annexion de l’Italie centrale ? Le Piémont semble dire le contraire, si l’on en juge par les assurances de M. de Cavour, que lord Granville a fait connaître à la chambre des lords. La Savoie au surplus doit en tout ceci être consultée. Il faut tenir compte aussi d’un bon chien de garde, la Suisse, qui entend partager le déjeuner, s’il lui est impossible de le défendre et de le conserver intact. Les prétentions, pour ne pas dire les droits de la Suisse, nous détourneraient, quant à nous, de convoiter la Savoie. Pour nous donner la satisfaction d’une frontière naturelle, il nous faudrait en effet consentir à un partage. La Suisse aurait un morceau de la Savoie, le Piémont en garderait un pour protéger Turin, et nous nous adjugerions le troisième. Ce partage d’un petit pays, qui a une histoire glorieuse et qui possède des institutions libérales très avancées, nous paraîtrait une chose peu édifiante au siècle où nous sommes ; la France ne réaliserait pas une grande idée, et ne s’attirerait pas un grand honneur en y coopérant.

Une autre considération puisée et dans la disposition des esprits en Savoie, et dans l’état actuel de l’Italie centrale, augmenterait nos répugnances personnelles contre une telle combinaison. Le parti séparatiste en Savoie était, comme on sait, le parti clérical : le zèle annexioniste de ce parti s’était quelque peu refroidi depuis nos dernières difficultés avec Rome ; mais les événemens imminens dans l’Italie centrale peuvent ranimer l’hostilité des cléricaux savoisiens contre M. de Cavour et la politique italienne du Piémont. Nous touchons à la crise de l’Italie centrale. La France a transmis à l’Autriche les propositions anglaises. Si les analyses qui ont été publiées de la dépêche de M. Thouvenel sont exactes, la France s’approprie implicitement ces propositions : elle fait valoir l’œuvre de persuasion qu’elle a inutilement tentée dans les duchés, et se plaint que l’Autriche, en refusant de promulguer les réformes promises, ait rendu impossible l’exécution des stipulations de Villafranca ; elle demande donc à Vienne ce qu’elle a demandé à Rome pour la Romagne, non l’abdication d’un droit, mais la résignation pacifique au fait accompli. Nous croyons que les journaux ont parlé prématurément de la réponse de l’Autriche ; mais si elle n’est point arrivée encore, elle est aisée à prévoir. L’Autriche maintiendra par une protestation les droits que les traités lui confèrent, et regardera passer les événemens. Alors s’accomplira ce que nous appelons la crise de l’Italie centrale. Nous ne cherchons pas à deviner les moyens qui seront employés pour accomplir l’annexion. Y aura-t-il de nouvelles votations sur l’annexion même dans les duchés et dans la Romagne ? Emploiera-t-on le suffrage universel ou la loi