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gentle- Jamais il n’a eu la sotte idée d’adorer dans sa personne le principe d’autorité et la féroce vanité d’inculquer à ses concitoyens, par des abus de pouvoir, ce culte absurde et odieux. Il est ministre d’un peuple libre, et par conséquent n’a d’autorité qu’à la condition d’avoir raison. Il ne songe donc pas à imposer ses opinions à des adversaires bâillonnés. Au contraire, il vient à une assemblée d’égaux, avec cette simplicité modeste qui est la meilleure parure de la supériorité véritable, soumettre le résultat de ses travaux, exposer ses convictions raisonnées. Il appelle la discussion sur ses projets tantôt avec une gracieuse bonhomie, tantôt avec une chaleur éloquente. Loin d’imposer silence à la contradiction, il la provoque au nom de l’intérêt public et d’une émulation généreuse. Il a l’estime et l’applaudissement de ses rivaux politiques : il est une des gloires vivantes de sa nation. Les étrangers intéressés à son budget par leurs traités de commerce se demandent avec regret pourquoi il n’en est pas des hommes comme des choses, pourquoi il n’est pas possible qu’entre deux grands peuples le libre échange des produits soit inauguré par le libre échange de tels talens, de tels caractères et de telles mœurs publiques.

Hélas ! le discours de M. Gladstone ne sera malheureusement point payé de réciprocité du côté de la France. S’il existe par hasard en France un homme capable d’expliquer avec ampleur au pays l’importance du nouveau traité de commerce et de la nouvelle politique commerciale au point de vue de nos finances et de notre développement industriel, grâce à certaines prohibitions conservées encore par la douane de la pensée, cet homme est inconnu du public, et vraisemblablement s’ignore lui-même. Dans notre indigence, approprions-nous au moins M. Gladstone : la circonstance ne nous autorise-t-elle pas suffisamment à faire de lui, en passant, notre chancelier de l’échiquier ?

Quand on examine le plan financier de M. Gladstone et le dessin de son vaste discours, on s’aperçoit aisément que le traité de commerce est le centre autour duquel vient s’arranger l’ordonnance de ses dispositions financières et de ses moyens oratoires. Quelle eût été, sans le traité, la position de M. Gladstone se préparant à dresser son budget ? La tâche de toute façon eût été pénible. Il fallait faire face à une dépense de 70 millions sterling, plus de 1,750 millions de francs. C’est l’accroissement des dépenses militaires et navales qui a porté à ce chiffre énorme, et qu’on eût cru impossible il y a peu d’années, les dépenses du budget anglais. L’armée et la milice absorbent seules, dans l’exercice qui va s’ouvrir, 395 millions de francs, et la marine un peu plus de 347 millions, ce qui fait, pour les deux chapitres réunis des dépenses de guerre, plus de 742 millions. Il fallait donc pourvoir à 1,750 millions ; les ressources fournies par le budget des recettes, établi sur les dernières bases légales, ne s’élevaient qu’à 60,700,000 livres sterling, soit en francs un peu plus de 1,517 millions. Le chancelier de l’échiquier était donc en présence d’un déficit de 233 millions. Il est vrai que ce déficit n’existait que dans la supposition où l’income-tax ne serait pas renouvelé pour le prochain exercice, et où l’on ne maintiendrait pas non plus la surtaxe provisoire qui a été établie sur le sucre et le thé depuis la guerre d’Orient. Cette surtaxe, dont la continuation est très impopulaire, donne à l’échiquier un produit annuel de 52 millions et demi. Dans cette situation,