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Smith, qui m’avait précédé dans la salle à manger, here is the dear little fellow. — Obéissant à cet appel, je franchis le seuil de la porte, et aperçus mon compagnon qui caressait la tête blonde et bouclée d’un enfant assis au haut bout de la table. En cet instant, j’éprouvai une des plus douces et des plus violentes émotions qui aient jamais agité mes sens... Et ce n’était pas une illusion! Le pauvre petit, après m’avoir pendant un instant dévisagé de ses deux grands yeux bleus, tendit vers moi les bras et me cria de sa voix argentine : Frenchman sahib, salam !... Ai-je besoin d’ajouter que des deux mains j’enlevai Jimmy de sa chaise et fondis en larmes en le pressant sur mon cœur?

Le premier moment d’émotion passé, j’expliquai au capitaine Smith les secrets de famille dont la pauvre lady Suzann m’avait fait le dépositaire, et j’obtins de lui, non sans peine, qu’il me permît d’emmener Jimmy avec moi. L’enfant est en ce moment dans ma cabine, et prendra passage sur le steamer qui doit me ramener en Europe. Après t’avoir serré la main, je me mettrai en route pour présenter mon petit orphelin à son grand-père, et si le vicomte Delamere se montre rebelle aux sentimens de la nature, ma résolution est prise, je servirai de père au pauvre abandonné. Je connais trop les nobles sentimens de ton cœur pour croire un seul instant que les intérêts de ton fils puissent te faire voir avec jalousie l’affection que je porte à ce petit Moïse que j’ai sauvé des eaux.

HENRI.

Bengal-Club-Chowringhee, 29 septembre 1857.

Dieu soit loué ! me voilà de nouveau en pleine civilisation ! Champagne frappé à l’ordinaire! Arrivé hier à Calcutta assez avant dans la nuit, ce matin j’ai reçu par Lancefield la série de ta correspondance. Un steamer met à la mer aujourd’hui même pour aller chercher des troupes à Suez, et quoique je compte partir au premier jour, je ne veux pas perdre cette opportunité pour te donner de mes nouvelles et de celles de mon petit pupille. Rassure un vieillard affligé : dans deux mois au plus tard, il embrassera le fils de la chère et malheureuse lady Suzann ! Au moment où je t’écris, le canon de Fort-William annonce que Wilson et ses héroïques soldats sont maîtres de Delhi. Hier, le télégraphe électrique a apporté la nouvelle certaine que la garnison de Lucknow avait été secourue par l’expédition que commandent Havelock et Outram, le Bayard de l’armée des Indes... — victoire à la peau blanche sur toute la ligne! — Hurrah,... up,... up.... up,... Hurrah, one cheer more for old Outram ! Hurrah !


MAJOR FRIDOLIN.