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cela signifie que le nombre des spectateurs est plus grand qu’autrefois, que le goût du théâtre a cru en proportion du goût du luxe et d’une répartition plus égale de la richesse générale. Il y a plus de spectateurs parce qu’il y a plus de gens qui peuvent payer leur place qu’autrefois, parce que le plaisir, qui n’était jadis qu’une récompense exceptionnelle du travail, est devenu une habitude de chaque jour. Si vous ajoutez que les chemins de fer ont mis les provinces les plus reculées à quelques heures de la capitale, et versent incessamment des milliers d’oisifs et de curieux sur le pavé de Paris, vous aurez le secret de la prospérité des théâtres. C’est au moraliste, non au critique dramatique, de tirer de ces faits telle conclusion qu’il lui plaira. Il serait fort injuste de rendre ce public démocratique, sans cesse renouvelé, responsable de l’abaissement de l’art dramatique ; il n’est point composé de connaisseurs. Il ne va pas au théâtre pour faire acte de juge ou pour éprouver un plaisir intellectuel. D’ailleurs les scènes qu’il fréquente de préférence ne sont pas celles qui sont chargées de représenter les intérêts de l’art sérieux. Il ne fréquente guère le Théâtre-Français ; on ne peut donc point le rendre responsable de la décadence momentanée de ce théâtre. Il ne fréquente guère non plus l’Opéra ; ce n’est donc pas lui qui est coupable s’il n’y a plus ni grands chanteurs ni grands musiciens. Dites donc, si vous voulez, que les productions dramatiques nouvelles ont de la vogue, et non pas qu’elles ont du succès. À toutes ces raisons, il faut en ajouter une dernière, qui, selon moi, explique beaucoup mieux que l’accroissement du public le succès des œuvres dramatiques médiocres. Tous ceux qui ont fréquenté le théâtre ont pu se convaincre que, pour réussir, il n’est pas besoin de grandes facultés littéraires. Il suffit de l’illusion de la vie que crée le théâtre pour enlever le succès. De même que Chez l’orateur le geste et l’intonation sauvent le discours, au théâtre le jeu de l’acteur et le mouvement de la scène sauvent la pièce. Le spectateur est bien différent du lecteur, personnage défiant, vigilant, soupçonneux, qui contrôle ses impressions et maîtrise son jugement ; il sort de lui-même et s’abandonne sans résistance. En quelques minutes, il est sous le charme ; il lui est devenu indifférent qu’on lui dise des choses communes et vulgaires, pourvu qu’on ne lui dise pas des choses fausses. Il ne songe pas davantage à réclamer des choses neuves et imprévues qui arrêteraient son plaisir et déconcerteraient son jugement. Non, un bon petit dialogue, honnête, sensé, comme le dialogue de la vie ordinaire, une bonne petite action dramatique, qui le mène doucement, amicalement à l’émotion ou au rire, voilà ce qu’il demande avant tout. De l’habileté, du bon sens, suffisent pour atteindre ce résultat. Que la pièce soit bonne ou mauvaise, elle