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des scènes de Paris tout aussi bien qu’au Gymnase. Parmi toutes les pièces récentes, la seule qui soit peut-être à sa place est le Testament de César Girodot, œuvre estimable de deux jeunes auteurs qui ont cherché consciencieusement la bonne comédie, et qui ont fait tous leurs efforts pour l’atteindre. Et cependant, quoique cette pièce ait rencontré à l’Odéon son vrai théâtre et son vrai public, je ne suis pas bien sûr qu’elle n’eût pas été également applaudie au Vaudeville par le public qui a fait le succès des Faux Bonshommes.

Ainsi voilà un fait bien constaté : il n’y a plus qu’un seul théâtre, de même qu’il n’y a plus qu’un seul genre de production dramatique. Telle était la conséquence que renfermaient les innovations de M. Dumas et le triomphe du réalisme au théâtre. Nous nous sommes longuement expliqué naguère, à propos des drames de M. Dumas, sur les dangers et les inconvéniens de ce système, qui veut transporter au théâtre la réalité brutale sans la modifier ni la transformer[1], et nous ne nous sentons guère le courage de revenir sur ce que nous avons dit. Nous fîmes remarquer alors que le romancier était beaucoup plus à l’aise que le dramaturge pour appliquer ce système de transcription scrupuleuse et fidèle qui s’appelle réalisme, parce que le romancier avait la faculté d’épuiser et en même temps d’expliquer la réalité, parce qu’il pouvait analyser, tandis que le dramaturge au contraire devait condenser. Sans repousser du reste, même au théâtre, ce système nouveau, nous refusions d’admettre qu’il pût s’appliquer également à tous les sujets. Selon nous, l’artiste et le poète devaient savoir distinguer quels sujets le repoussaient et quels sujets l’admettaient ; c’était affaire de tact instinctif. Ainsi M. Dumas l’avait très justement appliqué dans la comédie du Demi-Monde et très maladroitement dans Diane de Lys et même dans la Dame aux camélias. Enfin nous refusions de reconnaître en principe que la réalité extérieure fût autre chose que le signe matériel de la réalité morale, autre chose que la matière première, la terre glaise ou le marbre que l’artiste avait le droit de pétrir et de tailler à son gré. Nos observations subsistent, encore, et, pour nous du moins, l’expérience des deux dernières années ne les a modifiées en rien.

Je sais bien que le système du réalisme dramatique a un mérite incontestable, et que je ne me permettrai certainement pas de contester : celui de dispenser l’auteur d’imagination, d’invention et de pensée. Tout l’art dramatique dans ce système consiste à prendre des personnages réels et à les disposer en face les uns des autres pendant un certain nombre de scènes comme les pièces d’un jeu

  1. Revue des Deux Mondes du 1er février 1858, le Théâtre réaliste, le Fils naturel.