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le philosophe du désert. Ce n’est pas que le trésor de la pensée religieuse ne se soit enrichi depuis lors de plus d’une perle précieuse. Il est certain que de nos jours, sans sortir du domaine strictement religieux, un homme frappé comme Job envisagerait tout autrement ses malheurs. L’idée de l’épreuve et du résultat salutaire de la souffrance, celle de l’éducation de l’âme par la douleur, ont pris une extension et une clarté que Job et ses amis ne soupçonnent pas encore. Nous avons surtout cette espérance d’un monde meilleur où vont se réunir les lignes qui divergent ici-bas, soleil mystérieux dont nous n’entrevoyons que l’aurore, mais que rien ne peut plus voiler à l’âme depuis qu’elle a été élevée à cette hauteur morale où l’immortalité est l’évidence. Sur ce point encore, nous avons besoin d’ajouter quelques réflexions.

Certes ce n’est pas sans surprise que, dans un grand poème religieux consacré à la douleur, nous ne découvrons pas une seule trace de l’espérance d’une vie à venir, où toute larme doit être essuyée et toute noble aspiration satisfaite. Un moment, un seul, la pensée de Job, sous le fouet de la douleur et de l’indignation, atteint presque à cette hauteur. Il affirme, avec une énergie saisissante, « qu’enfin son vengeur apparaîtra, sur la terre, » et que, « privé de sa chair, il verra Dieu. » Cependant ce passage, où l’on a vu plus tard bien autre chose que ce qui y est, n’est qu’un éclair dans la nuit. Évidemment l’auteur lui-même n’a pas eu conscience des contrées immenses sur lesquelles il projetait une lueur passagère, car la discussion retombe tout le long du poème dans les horizons bornés du sémitisme antique. À dire vrai, la foi en une vie future, consciente et personnelle, n’a pris naissance qu’assez tard au sein du peuple d’Israël, et nullement sous la forme philosophique que nous nous sommes habitués à lui donner. C’est à la famille et à la tribu que le Sémite des anciens temps attribuait l’immortalité. Plus tard ce fut à la nation. Aucun peuple n’a poussé aussi loin que le peuple d’Israël cette foi en sa survivance au-delà de tous les tombeaux. Ce peuple-là n’a jamais cru qu’il mourrait. Il se sentait en possession d’une idée qui ne permet pas de mourir à ceux qui la portent, et il a affirmé sa résurrection avec la plus indomptable opiniâtreté à la face de tous ses destructeurs. L’espérance d’un Messie, sur laquelle le livre de Job se tait encore de la manière la plus absolue, a été provoquée précisément par ce contraste entre l’idée et le fait, contraste créé par la singulière destinée d’un peuple qui rêvait l’empire du monde et devait être consécutivement le jouet de toutes les grandes puissances. Il fallait que le peuple survécût et réalisât la destinée à laquelle il se sentait appelé ; voilà le sentiment qui anima toutes les prophéties consolatrices. Le royaume de Dieu