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LE THEATRE
ET
LA NOUVELLE LITTERATURE DRAMATIQUE



J’éprouve quelquefois un sentiment de douloureuse satisfaction en voyant se réaliser à la lettre les prédictions de ces gens improprement appelés pessimistes et misanthropes. J’aime à voir, je l’avoue, l’invincible logique des événemens donner raison à ces esprits qui passent pour moroses, parce qu’ils ne veulent pas se refuser à l’évidence, même lorsque, comme tant d’autres, ils sont intéressés à la nier, et qu’on qualifie de mécontens parce qu’ils admettent que deux et deux font quatre, même alors qu’il serait doux, au gré de leurs passions, que deux et deux fissent cinq. Oser dire que deux et deux font quatre, c’est cependant une hardiesse qui n’est pas sans danger à certaines époques, ainsi que l’histoire s’est chargée de nous l’apprendre mainte fois. Le danger est surtout grave aux époques de fronde, à ces époques où les hommes, n’étant plus unis par aucun lien de confiance mutuelle, suivent isolément la voie de leur intérêt personnel, où la déception engendre forcément l’incrédulité, et le ressentiment l’injustice. Personne alors n’ose plus se confier à la nature humaine, et devant l’observation la plus insignifiante ou la plus innocente, chacun retourne à sa façon le fameux mot de Talleyrand sur Sémonville. « Quel intérêt peut-il avoir à dire ce qu’il dit ? » est la question muette que tous s’adressent en écoutant les paroles de leur prochain. Les réflexions les plus simples donnent lieu aux commentaires les plus fantastiques, lesquels engendrent à leur tour les perfidies les plus chimériques. Tous, rêvant de trahisons, de malice