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paix, entremêlés les uns aux autres, a suscité dans notre esprit d’autres convictions. Joseph de Maistre a écrit quelque part que « l’islamisme est une secte chrétienne. » On peut bien admettre avec lui que la religion de Mahomet est, comme celle de Moïse, une forme incomplète du christianisme, l’une antérieure, l’autre postérieure à l’Evangile ; par cela même, elle ne peut être un amas de ridicules et dégradantes superstitions. En dehors de toute tentative téméraire, les concessions à l’esprit moderne qui doivent amener la transformation progressive du Maroc seront obtenues, à l’heure opportune, par le concours de la France, de l’Espagne et de l’Angleterre. La France, en ramenant dans leurs campemens des régimens victorieux qu’elle pouvait diriger sur Fez, vient d’acquérir le droit d’être écoutée ; l’Espagne acquerra ce droit par ses victoires ; l’Angleterre exerce depuis longtemps une haute influence. Devant leur entente, le nouveau sultan du Maroc comprendra que de sa déférence à leurs conseils dépend sa destinée. Il s’inclinera sous l’arrêt de Dieu : c’était écrit !

Si, contre toute attente raisonnable, l’opiniâtreté du sultan refusait toute réforme à une bienveillante intervention, il faudrait bien se résoudre à prévoir, dans un avenir plus ou moins prochain, quelque révolution que prépareraient la guerre civile et l’anarchie. Les chérifs auraient fait leur temps, et à leur premier tort, au lieu de leur pardonner encore, on les remplacerait. Élèverait-on à leur place une nouvelle dynastie musulmane ? Installerait-on un prince chrétien ? Ferait-on un appel, avec une héroïque confiance, suivant le vœu de quelques esprits éminens, à l’émir Abd-el-Kader, qui consume inutilement sa haute intelligence dans ses loisirs de Damas ? Le Maroc serait-il partagé entre les puissances coalisées contre lui, ou bien serait-il annexé à l’Algérie ? Ces solutions extrêmes, l’esprit les conçoit ; mais il ne peut que les livrer, sous une forme dubitative, aux méditations des lecteurs. Il nous suffit d’avoir mis en lumière, avec quelques développemens, les transactions moins radicales qui se présentent au premier plan : si jamais ces transactions paraissent impossibles, il faudra bien alors réclamer, à défaut d’améliorations de détail, un gouvernement nouveau et de toutes pièces, avec la condition expresse pour lui de se légitimer par la colonisation du sol, par l’essor de l’industrie et du commerce, et surtout par la tutelle paternelle des races vaincues et le scrupuleux respect de leur liberté religieuse.


JULES DUVAL.