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cas de détresse, d’arborer le drapeau blanc, symbole d’amicale hospitalité. Malheur à qui s’y fie ! Les marins et passagers qui tombent en leurs mains sont impitoyablement massacrés, à moins que l’espoir d’une forte rançon ne préserve leur vie. En attendant, ils subissent le plus dur esclavage.

En plein XIXe siècle, presque, sous le canon de Gibraltar et de Ceuta, à quelques lieues de l’Algérie, de tels excès sont une honte et un scandale, et l’Europe va châtier au bout du monde des injures bien moins graves. En 1852, l’Angleterre, lasse de se résigner, chargea l’amiral Napier de venger ses nationaux ; après quelques promenades à portée des côtes, l’illustre amiral laissa impunis les méfaits des barbares. En 1856, le prince Adalbert de Prusse se montra plus hardi ; mais sa hardiesse faillit lui coûter la vie, ainsi qu’à ses braves compagnons. La France a plus osé que l’Angleterre et mieux réussi que la Prusse. Au mois d’août 1854, le commandant du Newton, M. Hugueteau de Chaillé, reconnut d’aussi près que possible, pendant quatre jours de navigation, tout le littoral du Rif. Accueilli d’abord par des coups de fusil, il en fit immédiatement justice en canonnant les barques d’où partait l’insulte. Deux jours après, les principaux chefs, frappés de terreur, venaient humblement implorer le pardon. Depuis lors, le pavillon de la France a toujours été respecté ; mais la piraterie a survécu contre les autres nations, et les navires français eux-mêmes ont été invités par leurs chefs administratifs à passer à quinze milles au large.

L’Espagne, plus en butte que personne aux violences quotidiennes des Maures du Rif, et sur mer et sur terre, a donc résolu d’en tirer vengeance, et pour elle-même et au nom de l’Europe. Le délai accordé par l’ultimatum du cabinet espagnol a expiré le 13 octobre dernier, sans que les satisfactions et les garanties demandées à l’empereur du Maroc aient été accordées. Le président du conseil des ministres a annoncé la déclaration de guerre aux cortès, qui l’ont accueillie avec un enthousiasme partagé par la nation entière. L’opposition espagnole, mieux inspirée que celle de la France en 1830, a désarmé devant la grandeur patriotique des desseins, et la Péninsule présente depuis deux mois l’émouvant spectacle d’un peuple qui sacrifie ses querelles et ses passions particulières sur l’autel de la patrie. Des souscriptions en argent et en nature s’efforcent d’élever les dévouemens à la hauteur des besoins. Cités et corporations, universités et couvens, noblesse et clergé, toutes les classes et tous les âges s’unissent dans les mêmes vœux. Que dans ces démonstrations une teinte d’emphase espagnole blesse quelquefois la correction un peu sévère et railleuse du goût français, on peut l’avouer, sans que le sourire efface l’approbation. À ces élans de joie il y a d’ailleurs quelques ombres naissantes : la perspective d’une aggravation