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fanatisme chrétien dont la violence ne le cédait en rien au fanatisme musulman, elle arbora l’oriflamme de la croix, elle extermina les infidèles, elle établit l’inquisition ; elle légua moins à l’avenir que le Portugal lui-même, qui fit servir la ceinture de places fortes qu’il posséda jadis à l’ouest du Maroc à la pacification régulière d’une partie du pays, et surtout aux progrès des sciences nautiques. Pour le Portugal, les mers du Maroc furent le chemin des mers de Guinée, et conduisirent son pavillon de proche en proche au cap de Bonne-Espérance et jusque dans l’Inde. Pour l’Espagne, ces mers ne furent qu’un champ de sanglantes représailles contre la domination des Maures, domination étrangère, musulmane, et à ce double titre destinée à succomber en Europe, mais qui s’était néanmoins signalée par assez de bienfaits pour obtenir de ses vainqueurs un usage modéré de la victoire. Malgré ce caractère stérile de l’occupation espagnole, le droit est pour le cabinet de Madrid quand il réclame le respect de ses postes, et le gouvernement du Maroc est tenu de mettre fin à des attaques incessantes, ou de laisser les offensés se faire justice eux-mêmes.

L’Espagne a su agrandir sa cause et rallier les vœux de toutes les puissances en rattachant à ses projets l’anéantissement de la piraterie du Rif, troisième grief de la civilisation contre le Maroc. Le Rif, on l’a dit, est la chaîne montagneuse qui s’étend à l’entrée de la Méditerranée, depuis le détroit de Gibraltar jusqu’à la frontière occidentale de l’Algérie, sur une longueur moyenne de 330 kilomètres, une largeur de 50, une altitude évaluée de 900 à 1,000 mètres. C’est autour du cap Très Forcas qu’a établi son quartier-général la piraterie africaine sous sa dernière forme, le brigandage sans audace et sans péril. Dans la baie orientale, où se trouve Mélilla, elle n’a pu se développer à cause du petit nombre des criques abritées des vents du large ; mais dans la baie de l’ouest elle est sérieusement constituée. Au fond du rivage et dans ses replis se tapissent les barques, les unes échouées sur le sable, d’autres retirées sous des grottes, la plupart abritées sous des toits de sable et de terre recouverts de branches d’arbres. Elles appartiennent aux Riflains, qui, couchés sur les falaises où s’élèvent leurs cabanes comme des vigies d’observation, épient au loin l’horizon. À la vue d’un navire de commerce arrêté par le calme ou luttant contre le courant, ils se précipitent armés au nombre de vingt-cinq ou trente dans leurs embarcations, et s’élancent sur leur proie. Arrivés à portée, ils effraient à coups de fusil l’équipage, qui le plus souvent s’enfuit dans les canots ; puis, maîtres du navire, les brigands, après s’être partagé la cargaison, détruisent et brûlent le navire aux cris d’une joie féroce. Les bâtimens que la tempête jette sur leur côte sont moins encore épargnés, et, pour les attirer, les pirates ne se font pas faute, en