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ses caprices les plus sanguinaires et les plus fantasques, il n’existe ni garantie ni recours. Ceux qui admirent le despotisme ont là un grand sujet d’admiration.

On pressent que ni la garde noire ni la caste entière des serviteurs ne suffiraient à maintenir une aussi prodigieuse domination, si celle-ci ne s’appuyait sur le caractère pontifical du monarque. Il est le chef spirituel de son peuple en même temps que son maître politique, et ce premier titre fait sa force la plus solide. Dans les sociétés musulmanes, l’accord intime de la loi et de la foi, qui l’une et l’autre ont leurs racines dans le Koran, est un précieux lien d’unité : sous l’étendard de la guerre sainte, les antipathies de race et de tribus se fondent en une belliqueuse exaltation. Les sultans du Maroc ont resserré ce lien en se constituant les pontifes du rite malékite, l’un des quatre rites orthodoxes de l’islamisme, le plus répandu en Afrique. La dynastie actuelle des chérifs, plus habile encore ou plus heureuse, y a joint le prestige dont là vénération populaire entoure le sang du prophète jusque dans ses plus lointaines générations. Elle a établi une généalogie qui fait de l’empereur actuel le trente-septième descendant de Mahomet par sa fille chérie Fatime. Devant ce concours de titres sacrés s’inclinent respectueusement toutes les résistances, et le tribut que la fierté berbère ou arabe refuserait au monarque, elle l’accorde comme un pieux hommage au khalife de l’Occident, au vicaire de Dieu dans le Maghreb. Son prestige, rayonnant jusque sur le Soudan, y a survécu à la chute du pouvoir temporel, qu’y exercèrent en d’autres temps les ancêtres des chérifs actuels.

Comme la papauté catholique, la papauté malékite a sa milice spirituelle dans les ordres religieux, khouan, sorte de confréries ou de sociétés secrètes fort répandues dans le monde musulman, plus enclin peut-être à l’enthousiasme mystique et aux raffinemens de dévotion que le monde chrétien. Le Maroc possède trois de ces ordres, dont le plus important, celui de Mouley-Taïeb, fondé par les chérifs eux-mêmes, compte un nombre infini de frères, parmi lesquels figure l’empereur régnant. Le cheikh ou grand-maître réside à Ouazzan, entre Tanger et Fez, siège d’une domination morale avec laquelle les sultans eux-mêmes sont obligés de compter. Investi par les mœurs publiques du pouvoir de prononcer entre les divers prétendans au parasol impérial et d’intervenir ainsi dans la guerre civile qui marque chaque changement de règne, le chef de l’ordre est l’objet des hommages les plus obséquieux de tous les intéressés. Ce rôle, aussi favorable à la fortune qu’à l’ambition, est échu en ce moment, par l’héritage du sang et l’adhésion des peuples, à un jeune homme d’une vingtaine d’années, qui ne parait pas entièrement étranger aux idées et aux vues de la civilisation. Les deux autres ordres, les aïssoua et les derkaona, sont loin d’atteindre