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ils sont braves. En 1844, on les a vus se défendre avec une vigueur remarquable contre nos troupes dans l’île de Mogador, où beaucoup aimèrent mieux se jeter armés dans les flots que de se rendre. À Isly, la garde noire seule supporta honorablement le choc de nos troupes. Inégaux dans une lutte contre une force disciplinée, ils sont redoutables à l’intérieur, aussi bien contre leur maître que contre les sujets. Plus d’une fois ils ont fait et défait les empereurs, qui les ont disséminés dans tout l’empire pour les affaiblir.

À ces aperçus il est impossible d’ajouter des données certaines sur l’importance numérique de chaque race. Dans un pays où manque toute idée d’administration civilisée, où les dénombremens sont inconnus, sauf pour les Juifs, qui paient un impôt par tête, toute évaluation n’est qu’une hypothèse téméraire. Aussi les géographes balancent-ils entre Il millions et 15 millions pour la population de l’empire, entre 30,000 et 300,000 habitans pour celle de Fez. Nous proposerons avec quelque confiance, comme base d’appréciation, la densité de la population algérienne, qui s’est développée dans des circonstances fort rapprochées de celles du Maroc. En Algérie, des recensemens très approximatifs portent à 2,500,000 âmes le nombre actuel des indigènes. Comme la surface du Tell, qui est le territoire le plus cultivé et le plus peuplé, est deux fois plus étendue au Maroc, nous évaluerons la population totale de cet état à 6 millions au plus en tenant compte de la prédominance de l’élément berbère, plus serré sur le sol que l’élément arabe. Dans ce chiffre total, les Berbères compteraient pour 2 millions 1/2, moitié Amazigha, moitié Chellouhs, les Arabes purs pour 1,200,000, les Maures, les Abids et les Arabes abidisés pour 1 million chacun, les Juifs pour 300,000. En mettant sous les armes un sixième de la population mâle, ce qui est très modéré pour un pays où tout homme est combattant, le Maroc pourrait lever plus de 500,000 soldats ou cavaliers, tant bien que mal équipés.

Ces élémens hétérogènes sont réunis en corps de nation par le pouvoir politique et religieux dont ils subissent tous, à des degrés divers, l’autorité. Ce pouvoir s’est constitué indépendant au IXe siècle de notre ère ; depuis lors, il a résisté à l’écroulement de cinq ou six dynasties comme aux agressions des peuples voisins, tant chrétiens que musulmans : manifeste témoignage de l’unité naturelle de l’empire ! Nul souverain au monde n’est aussi absolu que celui du Maroc : ni le sultan de Constantinople, tenu de compter avec un divan, avec un corps d’ulémas, avec tous les représentans de l’Europe, ni le maître du Céleste-Empire, enchaîné par les traditions et les lois écrites. Au Maroc, l’empereur est tout ; il est la loi vivante, il est maître absolu de la vie et des biens de tous ses sujets ; contre