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Quant aux Abids, c’est-à-dire les serviteurs[1], ils sont exactement l’antipode des Juifs : hommes de guerre, soldats de l’empire, janissaires ou mamelouks du Maroc. Lorsqu’au XVIe siècle les chérifs voulurent compléter leur autorité spirituelle par la conquête violente du pouvoir temporel, à défaut de troupes indigènes d’un dévouement suspect, ils cherchèrent des soldats au Soudan. Ce fut l’origine des expéditions marocaines sur Tombouctou, colorées d’un prétexte de propagande musulmane. On saisit des esclaves, on s’en fit livrer et vendre ; mais comme l’esclave, même aux mains des sultans, était une chose, un bien meuble, qui pouvait, sur leurs domaines, être capturé comme du bétail, les habiles chérifs firent de la chose une personne en constituant leurs esclaves habous, c’est-à-dire dotation sacrée d’un saint personnage fort révéré dans le Maghreb, Sidi-el-Bokhari, A l’abri de ce nouveau titre, les nègres de la couronne devinrent objets de main-morte, inviolables, hors de commerce, en un mot hommes libres. On leur imposa toutefois une condition : on exigea d’eux le service militaire. Telle est l’origine de la célèbre garde noire du sultan, trait de lumière dont nous pourrions nous éclairer pour protéger contre les chasses d’hommes et les sacrifices humains les noirs voisins de nos colonies et de nos comptoirs sur la côte occidentale d’Afrique. Pour mieux assurer le recrutement, on les maria à des négresses, même à des blanches indigènes. Bientôt leurs privilèges de serviteurs du gouvernement furent enviés par des Marocains arabes, qui sollicitèrent la faveur d’entrer dans la milice à titre d’habous. Ainsi se forma une corporation de teinte foncée, connue sous le nom général d’Abids, classe plutôt que race, qui combine, à tous les degrés, les trois types qui la composent, mais où domine le caractère nègre : tête ronde, front fuyant, cheveux crépus, lèvres épaisses, teint bistré, taille moyenne. Ce sont les seuls sujets réellement soumis au sultan. Quelques milliers d’entre eux constituent la garde impériale ; d’autres tiennent garnison dans les villes du littoral et de l’intérieur. Un grand nombre, organisés à la façon des maghzen et des smala de l’Algérie, sont disséminés sur les chemins ou campent au voisinage des tribus les plus suspectes. Cavaliers, ceux-ci vivent sous la tente à la manière des tribus, et subsistent comme elles de leurs propres cultures. D’autres enfin ne fournissent des contingens, des goums, qu’aux époques de levées extraordinaires. Bien que les Abids pèchent par l’organisation, individuellement

  1. Nous empruntons cette expression au Dr Warnier, que vingt-cinq ans de séjour en Algérie et une mission politique importante, remplie au Maroc, ont mis à la tête des autorités les plus sûres en toute question algérienne et marocaine. M. Walsin Esterhazy avait adopté, pour la régence d’Alger, la même division dans son Histoire du Gouvernement turc.