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libres. Jaloux de la pureté de leur sang, ils évitent le mélange des races et vivent en tribus congénères. Chez eux, la filiation, aussi facile à constater qu’elle est obscure chez les citadins, révèle deux origines profondément distinctes et comme deux grandes familles humaines, les Berbères et les Arabes.

La famille berbère, que l’on trouve, aux premières lueurs de l’histoire, distribuée sur toute l’Afrique du nord, a résisté, dans le Maroc, aux diverses causes de morcellement qui font frappée ailleurs. Dans le refuge inaccessible que lui ont fait les deux grands massifs de l’Atlas et du Rif, elle n’a subi qu’une division en deux groupes, les Amazighs et les Chellouhs, qu’on distingue plus aisément par le dialecte que par leurs caractères physiques ou moraux. Aux lieux où la vie s’écoule facile et paisible, où l’air et le sang sont purs, on les reconnaît à leur taille élevée, à la blancheur de leur teint, à leur barbe rare et souvent blonde, à leur figure ouverte. Dans les localités où une nature plus sévère, les tentations de la piraterie ou la guerre civile ont développé les instincts de la lutte, le profil maigre et anguleux, l’œil dur, la rudesse des formes, trahissent une barbarie de mœurs qui est un accident plutôt que le fond du caractère. Tels sont les Maures ou Berbères du Rif. Parmi les ouvriers marocains qui abondent dans la province d’Oran, beaucoup étonnent par le contraste de leur douce physionomie avec les portraits de cyclopes féroces traditionnellement décrits dans les livres.

La famille arabe représente le troisième élément constituant du peuple marocain. Amenée de l’orient par deux grandes invasions, au VIIe et au XIe siècle de l’ère chrétienne, elle a pris à revers, de l’est à l’ouest, toute l’Afrique du nord, débordant sur les plaines et contournant le pied des montagnes pendant que les races autochthones se réfugiaient sur les hauteurs. L’histoire l’a personnifiée dans le conquérant Okba, qui, s’avançant aux bords de l’Océan, poussa son cheval dans les flots jusqu’au poitrail, prenant Allah à témoin que la terre seule manquait à son ambition d’apôtre guerrier. L’inondation arabe a déposé ses alluvions les plus pures dans les pays les moins éloignés de son point de départ ; comme un torrent qui s’éloigne de sa source, elle s’est affaiblie avec la distance. Dans la Tripolitide, l’Arabe a tout absorbé ; en Tunisie, le Berbère reparaît ; en Algérie, la proportion entre les deux est égale ; au Maroc, le Berbère domine, et l’Arabe lui-même a subi l’influence du milieu ambiant : il s’est fait à demi berbère par les mœurs d’abord, et souvent par le sang. Les tribus distribuées le long de la frontière algérienne sont à peu près les seules qui campent à la façon nomade des tribus arabes de l’Algérie. Partout ailleurs elles se sont plus ou moins fixées au sol par le lien de l’habitation ou du travail agricole. Sur les