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pousser avec énergie ses princes et ses peuples vers une transformation nécessaire. Telle est l’opinion de ceux qui ne croient pas les sociétés musulmanes menacées d’une fin immédiate, et qui, tout en reconnaissant les vices dont elles sont rongées, à l’exemple d’ailleurs des sociétés chrétiennes, jugent moins difficile de les améliorer que de les supprimer.

Des travaux importans ont déjà jeté quelque lumière sur les chances que l’avenir réserve au Maroc. L’étude de ces éventualités vient cependant de nouveau s’imposer aux préoccupations de l’Occident. À ces travaux, dont quelques-uns ont paru ici même[1], sont venus s’ajouter quelques informations plus récentes, quelques aperçus plus précis. Entre l’Algérie et le Maroc, l’analogie est extrême : ce que l’une était, il y a trente ans, avant la conquête des Français, l’autre l’est encore aujourd’hui. Éclairé par ce rapprochement, on peut saisir le secret de la force et de la faiblesse du Maroc dans ses caractères géographiques, dans les élémens de sa population, dans ses institutions civiles, religieuses et politiques ; on peut constater les torts qui signalent cet empire à la sévérité de l’Europe, et les sentimens divers des puissances européennes à l’égard des sociétés barbaresques qu’il représente. Après avoir indiqué les chances probables des divers plans de conquêtes, on peut montrer enfin comment doit se dénouer, plutôt que se trancher, la question, si l’on profite des débuts’ d’un nouveau règne pour faire prévaloir sur les traditions de la politique d’Abd-er-Rahman des relations internationales plus conformes au droit des gens et aux intérêts légitimes de l’Europe.


I. — ÉTAT DES CONNAISSANCES SUR LE MAROC. - LA NATURE, LES POPULATIONS, LE GOUVERNEMENT.

Par une singularité unique en notre temps, une contrée qui commence à trois ou quatre heures de l’Espagne, qui autour du détroit de Gibraltar, l’un des points les plus importans et les plus fréquentés du globe, développe cent lieues de côtes sur la Méditerranée, deux cents lieues sur l’Océan, qui confine sur toute sa frontière orientale avec le territoire français de l’Algérie, cette contrée est restée plus inaccessible qu’aucune autre de l’ancien et du nouveau monde. Barth a pu parcourir l’intérieur du Soudan, Livingstone explorer l’Afrique australe, avec plus de facilité qu’ils n’en auraient trouvé au Maroc. Au-delà du littoral, dont la carte a été exactement levée,

  1. Voyez, notamment dans la Revue du 1er décembre 1840, le Maroc et la Question d’Alger, de M. À Rey de Chypre.