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Si nous en croyons d’intolérans moralistes, l’économie politique a un bien autre défaut : c’est une étude matérialiste et vile, qui ne songe qu’aux besoins du corps. Il est vrai : il ne s’agit que de donner du pain à ceux qui ont faim, des vêtemens à ceux qui ont froid, de multiplier autant que possible le nombre des créatures de Dieu qui vivent au soleil, de répandre l’aisance et le bien-être autour de soi, de rendre son pays riche, heureux et puissant. Et par quels moyens veut-on y parvenir ? Uniquement par la justice et par la liberté, c’est-à-dire par les lumières et par les mœurs. Voilà qui mérite en effet les mépris et les anathèmes ! « L’économie politique, dit-on, c’est la science de la richesse, c’est-à-dire l’art de devenir riche par tous les moyens. » Ici l’on se méprend ou l’on feint de se méprendre sur le sens du mot. Il y a deux sortes de richesse : la vraie, la légitime, celle qui vient du travail et de l’épargne ; la fausse et l’injuste, celle qui vient de la ruse et de la spoliation. La première s’acquiert lentement, péniblement, et profite à la société tout entière : c’est celle que recherche l’économie politique ; la seconde s’obtient aux dépens d’autrui, l’économie politique la condamne et la poursuit sans pitié. Si la science économique était plus répandue, plus acceptée, il y aurait certainement moins de pauvres, mais il y aurait aussi moins de riches ; la production doublée n’y suffirait pas. Le travail, même dans un pays où il jouit pleinement de la liberté, fait rarement des riches ; il crée beaucoup plus de richesses qu’ailleurs, mais ces richesses se répartissent plus également, et il en reste bien peu pour l’oisiveté. Qui a plus attaqué le luxe que l’économie politique ? Qui a mieux démontré l’union intime du luxe et de la misère ? Hélas ! il s’agit bien moins d’arriver à la richesse que d’éviter la pauvreté, et la parole divine ne cessera pas d’être vraie : Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front.

Nous avons vu que l’économie politique est née de la morale, ainsi du moins que l’entend l’école écossaise, et qu’elles ont toutes deux un principe commun, l’amour de l’humanité. Veut-on mieux encore, si mieux il y a ? L’idée de la responsabilité personnelle domine la morale, elle domine aussi l’économie politique, c’est une des causes qui nuisent le plus à son succès. La faiblesse naturelle de l’homme répugne à cette mâle science qui, dépouillant de ses voiles le mystère de la richesse, montre partout la rude nécessité du travail et de l’épargne. Le crédit même, ce mot magique qui semble créer à volonté des trésors, sort à sa voix des nuages dorés, et n’a plus pour origine que la stricte fidélité à remplir ses engagemens. Tout précepte économique suppose une vertu, toute conquête légitime de bien-être dépend de l’accomplissement d’un devoir. Après avoir tout fait pour éviter la souffrance et la pauvreté,