et les boulangers, duraient encore ? Quelque puissante que soit restée l’ancienne manie réglementaire, elle a cédé pour toujours sur bien des points ; ce n’est pas le privilège, c’est la liberté qui domine dans notre organisation économique. Voilà ce qui nous permet de conserver, sinon tout à fait impunément, du moins sans trop en souffrir en apparence, pas mal de prohibitions, et même de nous passer de temps en temps le plaisir coûteux d’une révolution ou de gaspiller une bonne partie des revenus publics ou privés par une certaine impuissance d’esprit contre les fantaisies.
Quand on voit combien fructifie le faible capital dont peuvent disposer nos cultivateurs et nos industriels, et combien une liberté boiteuse a produit de trésors depuis quarante ans, on se demande ce que serait la France, si elle avait su se pénétrer davantage des sages prescriptions de Turgot et d’Adam Smith. Il se peut que, dans l’exposé de leurs doctrines, les économistes français modernes, comme leurs prédécesseurs du siècle dernier, n’aient pas su garder assez de mesure. C’est là un péché tout français, dont l’économie politique n’a pas plus réussi à se défendre que la politique proprement dite. En tout pays, il y a des faits historiques puissans qui font partie de la constitution nationale et qu’il faut savoir respecter ; sinon, ils se font respecter eux-mêmes et se défendent contre les agresseurs en les écrasant. Si les économistes français ont commis des fautes, on s en est habilement servi contre eux, et en définitive la France entière a payé les frais du différend. Ce qui jette l’épouvante dans la plupart des esprits, c’est la croyance à une sorte d’anarchie universelle qui suivrait l’application des théories économiques. Injustes et puériles en elles-mêmes, ces terreurs s’expliquent par quelques déclamations excessives, car en toute chose le radicalisme porte malheur. Rien n’est plus propre à les calmer que la lecture d’Adam Smith. Nulle part la doctrine de la liberté du travail n’est présentée avec plus de netteté, et nulle part elle n’est accompagnée de plus de ménagemens. Pour le patriarche de l’économie politique, l’idée de la liberté ne se sépare jamais de l’idée de l’ordre, ou, pour mieux dire, les deux idées n’en font qu’une : la liberté n’est que le moyen de dégager l’ordre essentiel et divin, faussé par les combinaisons humaines. Nul ne se montre plus patient, plus conservateur des droits acquis, plus ami des transitions, plus attentif aux moindres faits, plus dégagé de passion et d’entraînement que les économistes anglais de son école, et cependant nul n’a porté plus loin qu’eux, sans aucun danger pour la paix publique, pour l’état politique et social, et avec des conséquences infinies pour la prospérité nationale, la pratique successive de ces principes.