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tous les peuples qui nous entourent : la population britannique, qui n’était au commencement du siècle que la moitié de la nôtre, l’égale aujourd’hui, en y comprenant les colonies ; la Belgique et l’Italie, l’Allemagne et la Suisse, marchent plus vite que nous ; nous avons moins de chemins de fer que la plupart de nos voisins[1] ; notre agriculture est des moins productives, notre navigation n’avance pas, et cependant nos progrès sont grands et visibles. À quoi les devons-nous ? À ce qui a transpiré dans nos lois et dans nos mœurs de la doctrine de la liberté du travail, tandis que les préjugés contraires nous ont fait et nous font encore beaucoup de mal.

Que seraient aujourd’hui notre agriculture, notre industrie, notre commerce, sans l’abolition de la plupart des obstacles qui arrêtaient autrefois la production ? On entend dire assez souvent que nos manufactures doivent tout à ce qu’on appelle le système protecteur ; mais on ne réfléchit pas que ce système n’est plus complet, Dieu merci : ce qui passe entre les mailles fait illusion sur le reste. Que seraient nos manufactures de soieries, de cotonnades, de lainages, s’il n’entrait pas tous les ans en France pour 150 millions de soies étrangères, pour 150 millions de cotons étrangers, pour 150 millions de laines étrangères, et s’il ne sortait pas en même temps pour 600 millions de nos tissus ? Que deviendrions-nous si nous n’avions pas tous les ans un commerce de 700 millions avec l’Angleterre, de 450 millions avec les États-Unis, de 350 millions avec la Belgique, de 250 millions avec l’Allemagne, etc. ? Et ce qui est vrai du commerce étranger l’est encore plus du commerce intérieur. Où en serions-nous si, comme le dit Voltaire, il était encore défendu à tout Périgourdin d’acheter du blé en Auvergne, et à tout Champenois de manger du pain avec du blé acheté en Picardie ? si les houilles de la Flandre étaient protégées contre celles de la Loire, ou les fers de la Champagne contre ceux du Berry ? si les grandes querelles entre les savetiers et les cordonniers, les fripiers et les tailleurs, les joailliers et les orfèvres, qui ont tant occupé les parlemens, et qui ont failli se renouveler récemment entre les pâtissiers

  1. Voici la longueur des chemins de fer exploités à la fin de 1857 par myriamètre carré de superficie :
    1 Belgique 5 kilomètres.
    2 Grande-Bretagne 4,7
    3 Allemagne 1,8
    4 Prusse 1,7
    5 France 1,4

    Pour la longueur exploitée proportionnellement à la population, notre infériorité est encore plus marquée : nous n’occupons que le huitième rang, et nous ne sommes pas en voie de regagner la différence, car nous n’avons ouvert en 1859 que 350 nouveaux kilomètres, comme dans les plus mauvaises années qui ont suivi la révolution de février.