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dangereuses. On jugera sans doute que Smith pousse ici un peu loin l’amour de la concurrence. Il fait cependant une exception pour l’éducation populaire. Le peuple n’ayant pas toujours les moyens de payer lui-même tous les frais de son instruction, l’état peut lui faciliter l’acquisition des connaissances les plus essentielles, et même au besoin la lui imposer. Il suffit pour cela d’établir dans chaque paroisse une petite école où les enfans du peuplé soient instruits pour le salaire le plus modique, le maître étant en partie, mais non en totalité, rétribué par l’état. On reconnaît ici l’Écossais, car l’Écosse est le pays de l’Europe qui aie plus anciennement organisé l’instruction populaire. Quant à nous, si nous nous sommes séparés du philosophe de Kirkcaldy pour l’enseignement secondaire et supérieur, notre loi de 1833 sur l’instruction primaire se rapproche de ses idées.

Pour le culte, un pays catholique comme le nôtre a nécessairement peu de rapports avec un pays protestant et presbytérien comme l’Écosse. Il faut avouer d’ailleurs que ce sujet n’est guère du domaine de l’économie politique. Il n’y a pas de question plus grave que celle des rapports de l’église et de l’état, et qui ait reçu plus de solutions diverses suivant les religions et les gouvernemens. David Hume avait dit ironiquement quelque part qu’une église bien dotée avait cet avantage, que le clergé s’acquittait de ses fonctions avec indolence et n’était pas trop animé de l’esprit de prosélytisme ; Adam Smith se plaît à reproduire cette épigramme, dirigée surtout contre l’église d’Angleterre, ce qui ne l’empêche pas de conclure en faveur de l’organisation presbytérienne. « L’église la plus opulente du monde chrétien ne maintient pas mieux, dit-il, l’uniformité de croyance, la ferveur de dévotion, l’esprit d’ordre et la sévérité des mœurs dans la masse du peuple, que cette église d’Écosse, si pauvrement dotée. »

On lui a reproché de n’avoir pas dit un mot de la bienfaisance publique ; c’est qu’évidemment, dans son opinion, l’assistance n’est bien donnée que par la charité privée, ou tout au moins par des institutions particulières indépendantes. Il jugeait sévèrement la taxe des pauvres, et il s’en est expliqué nettement dans une autre partie des Recherches à propos de la règle du domicile (settlement), car Malthus est loin d’être le premier qui ait signalé les dangers de la charité légale. Avant Smith lui-même, le vieux Daniel Defoë les avait nettement indiqués dans un pamphlet vigoureux ayant pour titre Aumône n’est pas charité (Giving alms no charity). Établie en Écosse à peu près vers le même temps qu’en Angleterre, la taxe des pauvres n’y avait jamais pris la même extension : le bon sens naturel et l’esprit d’économie de la nation l’avaient maintenue dans des limites à peu près insignifiantes ; le nombre des indigens s’était réduit