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s’est réalisée, et le commerce de la Grande-Bretagne avec ses anciennes colonies a décuplé. De là une tendance marquée en Angleterre à suivre désormais de plus en plus les conseils de Smith et à affranchir progressivement les colonies : encore un succès qui, pour être moins complet que le premier, n’en a pas moins dépassé ses espérances.

Après en avoir fini avec le système mercantile, Smith consacre un chapitre spécial à l’examen de la doctrine des économistes français, qu’il appelle système agricole par opposition à l’autre. Au fond, les idées des physiocrates ne différaient des siennes que par une nuance. Les écrivains français sont en général plus nets, plus fermes, plus brillans que les écrivains anglais ; mais ils ont les défauts de ces qualités : ils tombent facilement dans l’exagération systématique. L’école de Quesnay avait voulu, comme Adam Smith, combattre l’école mercantile et y substituer la liberté du travail ; elle avait vu, comme lui, que l’agriculture était la première des industries, et qu’une fausse notion de la richesse avait pu seule la reléguer au dernier rang ; mais elle ne s’était pas contentée de cet aperçu parfaitement juste, elle avait été jusqu’à soutenir que le travail agricole était le seul productif, le seul qui ajoutât quelque chose à la richesse de la société. Adam Smith n’a pas de peine à réfuter cette exagération : il démontre que les manufactures et le commerce produisent aussi bien que l’agriculture, quoiqu’à un moindre degré ; mais il y a loin du ton affectueux et même respectueux qu’il porte dans cette discussion à la vivacité qu’il a mise dans son jugement sur le système opposé. Il avait beaucoup connu les principaux physiocrates dans son voyage à Paris, il avait profité de leurs conversations et de leurs écrits, et il a dit lui-même que si Quesnay avait vécu en 1776, il lui aurait dédié la Richesse des Nations. C’est qu’en effet la dissidence est secondaire et la conformité essentielle : la dissidence eût été profonde, si les physiocrates avaient demandé en faveur de l’agriculture les privilèges que réclamait l’école mercantile pour le commerce et les manufactures ; mais, convaincus qu’il suffisait de la liberté naturelle pour remettre les choses à leur place, ils se trouvaient complètement d’accord avec Smith sur le point capital.


IV

Après les violences des temps barbares et les prohibitions de l’école mercantile, il reste encore un moyen pour les gouvernemens de troubler l’ordre bienfaisant établi par Dieu pour le développement de la richesse : ce moyen, c’est l’impôt. Payé par tous, l’impôt doit