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Rossi, qui en a fait le sujet de toute la première partie de son cours. Le prix réel (real price) de chaque chose, c’est le travail qu’il faut s’imposer pour l’obtenir. Ce que chaque chose vaut réellement pour celui qui l’a acquise et qui cherche à en disposer, c’est la peine que cette chose peut lui épargner et qu’elle lui permet d’imposer à d’autres. Ce n’est point avec de l’or ou de l’argent, c’est avec du travail que toutes les richesses du monde ont été achetées originairement, et la valeur de ces richesses pour ceux qui en possèdent est précisément égale à la quantité de travail qu’elles les mettent en état d’acheter ou de commander. Le travail est donc la seule mesure qui puisse servir dans tous les temps et dans tous les lieux à apprécier la valeur des choses : il est leur prix réel, l’argent n’est que leur prix nominal.

Pour bien comprendre l’utilité de ces distinctions, il faut se rappeler les opinions qui avaient cours au moment où s’écrivait la Richesse des nations. Peuples et gouvernemens étaient également imbus de cette idée que la seule richesse était l’or et l’argent ; la distinction entre la valeur en usage et la valeur en échange, entre le prix réel des choses et le prix nominal, n’avait d’autre but que de leur montrer le contraire. « Les vraies richesses, répète Smith sous toutes les formes, sont les produits nécessaires ou commodes à la vie, et leur véritable valeur vient de l’usage qu’on peut en faire ; leur valeur d’échange n’en est que l’expression. » Cette théorie de la valeur n’est pas tout à fait complète, mais elle suffit pour le but que se proposait l’auteur. Puis il reproduit de nouveau la même idée dans la distinction entre le prix naturel et le prix du marché, et il développe à ce sujet une des plus lumineuses formules de l’économie politique, celle de l’offre et de la demande, ou, comme disent plus énergiquement les Anglais, de la commande et de la fourniture (command, and supply).

Hâtons-nous de sortir de cette métaphysique économique, qui n’a pas aujourd’hui la même importance qu’à l’origine de la science, et arrivons à des applications positives. Smith distingue dans le prix des choses trois parts : celle qui sert à rémunérer le travail proprement dit de l’ouvrier et qu’il appelle salaires du travail (wages of labour), celle qui sert à payer le corps des instrumens de travail et qu’il appelle profits du capital (profits of stock), et enfin, dans la plupart des marchandises du moins, celle qui sert à payer le loyer du sol lui-même et qu’il appelle rente de la terre (rent of land). C’est par ces trois voies que le prix se distribue entre les différens membres de la société : salaire, profit et rente, voilà les sources de tout revenu comme de toute valeur échangeable.

En traitant séparément du salaire et du profit, Adam Smith constate ce double fait, que dans une société qui s’enrichit, les salaires