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les environs de Londres, il n’en est pas, dans l’Angleterre proprement dite, qui puisse l’emporter : fertile en sol, abondant en bétail, riche en houille, en fer, en chaux, en pierre à bâtir, béni dans ses manufactures ; la propriété admirablement bien divisée ; point de richesse excessive insultant à la misère du peuple, la plupart des familles jouissant d’une égale et douce médiocrité. Toute la côte de Crail à Culross, sur une longueur de 40 milles, n’est qu’une chaîne de villages. » Ce tableau est aujourd’hui encore plus vrai qu’alors. Quiconque a vu une fois cette côte gracieuse et animée, ces marais assainis et transformés en prairies, ces milliers de vaches au pâturage, ces beaux champs de froment, de turneps et d’avoine sous le pâle ciel du nord, ces fermes où respirent la paix, le travail et la bonne conscience, ces maisons de plaisance entourées de frais gazons et d’arbres séculaires, cette population si nombreuse et pourtant si aisée, ne les oubliera jamais. Un des petits ports de la côte, Kirkcaldy, où ne s’abritaient guère alors que des barques de pêcheurs, a vu naître Adam Smith en 1723. Le père du futur fondateur de l’économie politique y remplissait les fonctions de contrôleur des douanes.

Après avoir fait ses premières études à l’école de son village, le jeune Smith alla passer trois ans à l’université de Glasgow, puis sept ans à celle d’Oxford. Il s’établit ensuite à Édimbourg, où il ouvrit un cours de belles-lettres. Le succès de ce cours fut tel qu’il le fit appeler à la chaire de philosophie morale de l’université de Glasgow, que venait d’illustrer Hutcheson. C’est donc l’enseignement des belles-lettres et de la morale qui a conduit Smith à l’économie politique. Comment et par quel chemin ? Nous ne pouvons mieux le savoir qu’en le demandant à son premier écrit.

La Théorie des sentimens moraux, ou Essai analytique sur les principes des jugemens que portent les hommes sur les actions des autres et sur leurs propres actions, a paru pour la première fois en 1759, il y a juste un siècle ; ce livre original a été traduit une première fois en français, en 1766, sous le titre de Métaphysique de l’âme, une seconde fois en 1774 par l’abbé Blavet, bibliothécaire du prince de Conti, une troisième fois en 1798 par la veuve de Condorcet, preuves répétées du grand succès qu’il avait obtenu, et qui durait encore quarante ans après. Adam Smith le préférait, dit-on, à son grand ouvrage économique, qui a cependant beaucoup plus fait pour sa gloire. M. Cousin l’a trop bien analysé pour qu’il soit permis de l’essayer après lui. Disons seulement que le principe de Smith est la sympathie, c’est-à-dire que nous jugeons des actions bonnes ou mauvaises par la sympathie ou l’antipathie qu’elles nous inspirent. Hutcheson avait déjà donné pour fondement à la morale la bienveillance ;