Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 24.djvu/895

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’en Italie, c’est du moins dans de grands travaux décoratifs que bon nombre d’artistes ont acquis pour eux-mêmes ou enseigné à d’autres l’expérience et l’habileté. Les plafonds de Lebrun au château de Vaux annoncent et expliquent les Batailles d’Alexandre, où le maître nous donnera le dernier mot de son savoir et de sa doctrine, comme de nos jours encore l’Apothéose d’Homère, et, dans un ordre d’art différent, la Salle du trône peinte par M. Eugène Delacroix dans le palais du corps législatif, ont instruit ou conseillé toute une génération de peintres, tous les talens de quelque valeur appartenant à la nouvelle école.

À ne considérer la peinture monumentale que comme moyen de perfectionnement pratique, de stimulant des progrès extérieurs de l’art, il y aurait donc tout avantage à l’encourager activement aujourd’hui. Dira-t-on qu’à l’époque où nous sommes, l’art sacré a perdu son prestige et son autorité, que le temps est à jamais passé des croyances naïves, qu’en un mot la foi chrétienne est trop bien éteinte dans nos cœurs pour qu’on tente une résurrection impossible, et que le pinceau essaie de ranimer des formes irrévocablement muettes ? Étrange objection, que ne justifierait même pas dans le champ de la fiction pure, l’emploi des vieilles images mythologiques, car ces allégories surannées expriment après tout une poésie toujours vraie, des sentimens éternellement humains ! Et d’ailleurs cette mort de la foi chrétienne est-elle aussi avérée, aussi absolue qu’on le prétend ? L’instinct religieux du moins nous fait-il défaut à ce point que nous ne sachions plus ni aimer ni comprendre les entreprises des esprits convaincus ? A ne parler que des œuvres de la peinture, on sait ce que les derniers tableaux de Paul Delaroche et de Scheffer ont ajouté à la réputation des deux artistes, et cependant ces toiles si rapidement populaires représentaient non-seulement des scènes de l’Écriture sainte, mais, parmi ces scènes mêmes, des sujets traités déjà nombre de fois. C’est qu’il n’en va pas des faits et de la morale de l’Évangile comme des légendes de la Fleur des Saints ou des entraînemens du mysticisme. Aujourd’hui les pieuses légendes du moyen âge ne peuvent guère intéresser que la curiosité, et si le pinceau entreprend de les reproduire, il doit, sous peine d’en dénaturer le caractère, s’imposer des formes d’expression conventionnelles, une naïveté menteuse, et s’inspirer surtout de l’archéologie. L’art au contraire, et un art sincère, est et restera de mise dans la traduction des sujets évangéliques, parce que ces sujets correspondent aux invariables besoins de notre âme aussi bien qu’aux visées successives, aux inclinations diverses du talent, parce que, sans blesser la tradition chrétienne, les artistes ont le droit de transformer, de renouveler, d’interpréter