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plus éloquente, et nous croyons qu’on pouvait sans scrupule supprimer ici un détail parasite, que Giotto d’ailleurs et les autres maîtres du moyen âge ont en pareil cas fort résolument omis.

Les vingt grandes compositions qui, de chaque côté de la nef, se développent au-dessous des Patriarches et des Prophètes attestent, dans une suite de tableaux accouplés, la concordance des promesses de l’Ancien Testament et des faits de l’Évangile. Elles nous représentent côte à côte, dans un ordre chronologique, un événement antérieur à la venue du Messie et un épisode de la vie de Jésus-Christ correspondant à ce souvenir de l’ancienne loi. Ainsi le Péché d’Adam et d’Eve a sa place auprès de la Nativité, de telle sorte que l’on embrasse d’un même coup d’œil la scène de la déchéance humaine et la scène où le fils de Dieu fait homme commence à vivre dans ce monde qu’il est venu racheter. Ailleurs le Baiser de Judas en regard de Joseph vendu par ses frères, le Sacrifice d’Abraham rapproché du Christ en croix, nous émeuvent au spectacle de l’innocence trahie, ou nous rappellent les terribles épreuves, les expiations imposées par la volonté du Tout-Puissant. Partout le sens d’un sujet est confirmé par le sujet qui l’avoisine, partout une donnée caractéristique en elle-même emprunte un surcroît de signification, une portée morale plus sûre à un autre thème pittoresque qui en est comme le corollaire et la conclusion logique.

Si maintenant on songe aux innombrables termes de comparaison, aux rivalités redoutables que M. Flandrin rencontrait dans le passé en acceptant une pareille tâche, si l’on se rappelle que, depuis l’Annonciation et le Buisson ardent, les deux premières scènes de la série, jusqu’à l’Ascension, qui doit la terminer, il n’est pas un de ces sujets que les plus grands maîtres n’aient traité sous toutes les formes et en quelque façon épuisé, on s’étonnera avec raison qu’un sol si longtemps, si complètement exploité, ait pu produire encore une moisson aussi belle. Je me trompe : l’étonnement serait de trop ici, car ce terrain éternellement fécond n’est appauvri qu’en apparence, et il appartient au talent d’en approprier les ressources à des besoins sans cesse renaissans. On a coutume de dire qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil ; soit, excepté pourtant celui qui le regarde. Tout dépend, pour l’imprévu du fait, du moment où il nous est donné de contempler la lumière qui éclaire ce vieux monde et d’en refléter à notre tour les rayons ; dans un autre domaine que celui des phénomènes physiques, tout dépend aussi des clartés qu’entrevoit l’âme de l’artiste à mesure que les siècles se succèdent, des impressions toujours renouvelées, toujours jeunes, qu’elle reçoit en face des mêmes objets. Dans les sujets choisis par M. Flandrin, il n’y a de vieilli que le titre. Rien de moins neuf en