Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 24.djvu/889

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et ne pas enrichir les avenues du sanctuaire à l’égal du sanctuaire lui-même. Le système d’ornementation adopté dans la nef de Saint-Germain-des-Prés exprime à souhait cette distinction nécessaire. Les encadremens des sujets, la couleur des fonds, le champ réservé aux inscriptions ou aux détails d’architecture figurés au pinceau, tout a une apparence calme, une sobriété dans l’aspect qui contraste avec la magnificence du chœur, mais qui cependant prépare le regard à des lignes plus variées, à des combinaisons de tons plus opulentes.

Le vaste travail auquel M. Flandrin a consacré quatre années déjà, et qu’il n’a pas encore complètement achevé, comprend la décoration tout entière des murailles qui, des deux côtés de la nef, se prolongent jusqu’aux bras de la croix, et qui, s’arrondissant d’abord en arcades, s’élèvent jusqu’aux voûtes de l’édifice. Le sommet de ces arcades, ouvertes d’une colonne à l’autre, sert de base à une sorte de frise que le peintre a divisée en vingt grands tableaux, au-dessus desquels, c’est-à-dire entre les fenêtres qui éclairent l’église, quarante divisions plus étroites encadrent les figures des prophètes et des justes dont la Bible a immortalisé la gloire. Est-il besoin d’ajouter que cette longue série de figures satisfait aux exigences de l’art monumental aussi bien qu’aux conditions de l’art religieux ? M. Flandrin avait déjà fait ailleurs, et à plusieurs reprises, ses preuves dans ce genre de composition, qui procède à la fois de la symétrie architecturale et de l’invention pittoresque. Quoi de plus naturel dès lors que de retrouver dans les Prophètes et les autres personnages bibliques peints au haut de la frise de Saint-Germain-des-Prés cette majesté d’attitude, cette fermeté de dessin qu’on avait admirées déjà dans les Apôtres du chœur de la même église, ou dans les Martyrs et les Docteurs de Saint-Vincent-de-Paul ? Nulle part cependant le caractère particulier de chaque type n’avait été défini aussi nettement, ni l’expression morale accusée sous une apparence aussi neuve. Veut-on un exemple de cette élévation de la pensée et du style dans le nouvel ouvrage de M. Flandrin, un spécimen de composition hautement expressive là même où les élémens semblaient le plus infimes : nous citerons, entre autres créations tout à fait originales, la figure nue de Job, dont la maladie et la misère font grelotter les membres, et dont une pieuse résignation illumine les traits. Qu’il nous soit permis seulement de regretter que l’artiste se soit laissé aller à démentir quelque peu l’intention générale de cette belle figure en ceignant les reins de Job d’un fragment de draperie, précaution d’autant plus inutile que l’attitude même du corps suffisait pour rassurer les plus chastes regards. Une nudité complète eût été certainement