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de timidité dans l’expression, accusaient encore ici la main d’un disciple et la discrétion exagérée d’un esprit qui, de peur d’effaroucher ceux à qui il s’adresse, n’ose produire ses opinions qu’en termes succincts et à demi-voix. Le Christ entouré des enfans est une scène plus largement composée et traitée avec plus d’ampleur. On peut cependant reprocher à quelques parties du tableau, surtout à la figure principale, une apparence un peu morne, une physionomie presque effacée à force de restrictions et de prudence. Ce qui manque aux deux toiles que nous venons de mentionner, ce n’est assurément ni l’élévation de la pensée, ni la sévérité du goût, ni au fond l’originalité des intentions : c’est, pour ainsi parler, l’extérieur de cette originalité même, cette pointe d’ immodération et d’enthousiasme qui perce jusque dans les œuvres des maîtres les plus habitués à se surveiller, et qui donne au style l’accent de la verve et de la vie.

Quoi qu’il en soit, le parti de la résistance, que personnifiait M. Ingres, venait de trouver dans M. Flandrin un très utile auxiliaire, et le parti du mouvement à outrance un adversaire d’autant plus dangereux qu’il se gardait avec plus de soin des témérités et des aventures. Restait à savoir si cette retenue extrême ne dégénérerait pas à la longue en inertie, si cette attitude de disciple ne finirait pas par immobiliser l’action propre du peintre et les progrès de la cause qu’il avait entrepris de soutenir. Deux ans s’étaient écoulés à peine que la question était résolue déjà, et que les yeux même les moins clairvoyans reconnaissaient dans les peintures de la chapelle de Saint-Jean l’Évangéliste, à Saint-Séverin, l’empreinte d’un talent désormais sûr de soi et d’une inspiration toute personnelle.

Qu’on ne se méprenne pas toutefois sur le sens que nous attachons à ce dernier mot. Certes, en décorant la chapelle de Saint-Jean, M. Flandrin ne prétendait pas faire acte d’indépendance absolue. Il se souvenait, et il avait bien raison de se souvenir, des enseignemens qu’il avait reçus de son maître, des chefs-d’œuvre qu’il consultait naguère en Italie ; mais il s’interrogeait aussi lui-même, il réussissait à tirer de son propre fonds des ressources de composition nouvelles, à rajeunir, à force de sincérité et de bonne foi, des sujets consacrés depuis des siècles par le génie des artistes souverains. Dans la représentation de la cène par exemple, même après Giotto et Léonard, après Raphaël et Andréa del Sarto, il trouvait le secret d’émouvoir par l’expression pathétique de l’ensemble, par le caractère imprévu de certains types, en particulier du saint Jean, l’une des figures les mieux senties et les plus touchantes qu’ait produites l’art religieux contemporain. En se soumettant aux exigences de la tradition et aussi aux conditions toutes spéciales qu’imposaient