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devenaient inexcusables lorsqu’on les reproduisait de parti-pris. Bien plus : aux yeux de certains fanatiques de la naïveté, les monumens où ces imperfections sont déjà plus rares perdirent, en raison de ce progrès même, une partie de leur autorité. Il se rencontra des réformateurs assez convaincus pour se cantonner, à l’exclusion de tout le reste, dans le dogme et dans l’époque précise que personnifie Cimabue ; nous en avons connu qui ne marchandaient pas à l’austère Giotto lui-même le reproche de complaisance excessive pour les agrémens du style, d’inclination à la manière et de faux goût. Le moment où l’art byzantin se modifie quelque peu en Italie et, pour ainsi dire, s’y humanise, voilà, en matière de peinture religieuse, l’âge d’or qu’il s’agissait de remettre en honneur. La madone de Santa-Maria-Novella, — ce tableau promené dans les rues de Florence aux acclamations des contemporains de Dante, — tel était le résumé des devoirs imposés de nos jours encore au pinceau, le terme exact des concessions à la réalité et des moyens d’expression permis.

Est-il besoin d’insister sur les principes erronés d’une doctrine qui n’allait pas à moins qu’à réduire la fonction de l’art en Europe à une sorte de fétichisme, à l’immobilité farouche de l’art égyptien ou chinois ? Ainsi compris, le respect de la tradition, loin de vivifier le présent, ne sert qu’à le frapper d’impuissance. Sous prétexte de nous apprendre à préférer l’âme au corps, le fond à la forme, la vérité intime à la beauté extérieure, on n’arriverait au contraire qu’à chasser de l’art l’âme et la vérité. On ne ferait que substituer les formules d’un mysticisme pédantesque au langage du sentiment, quelque chose de la mission scientifique des hiérophantes au rôle plus simple et plus personnel des artistes. Que ceux-ci, comme on l’a dit d’ailleurs un peu trop haut et un peu trop souvent, soient investis d’un sacerdoce, je le veux bien : encore faut-il que ce sacerdoce s’exerce dans ses justes limites, et qu’après tout ces apôtres du beau n’en désertent point la cause ou ne la compromettent par leurs sophismes. Faut-il pour cela regarder comme une provocation inutile, comme un accident sans conséquence dans l’histoire de notre école, le mouvement qui entraînait les esprits, il y a vingt-cinq ans, vers l’imitation à outrance du style italien primitif ? Nous pensons tout le contraire. Le temps a fait justice des visées prétentieuses et des exagérations du début, mais l’étude intelligente des modèles a survécu. Un travail de rénovation s’est accompli dans la peinture religieuse, dont nous recueillons dès à présent les fruits, et qui engage, il faut l’espérer, l’avenir. Au lieu de renier, comme le voulaient d’abord quelques esprits, les œuvres des quatre derniers siècles, au lieu de se renfermer, à l’exemple des artistes allemands, dans l’érudition pure et