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toutefois de résumer les efforts tentés par les prédécesseurs du peintre et de rappeler comment s’est préparée en France cette réforme de l’art religieux que M. Flandrin poursuit aujourd’hui, et qu’il représente avec plus d’autorité que personne.

Lorsque M. Ingres opposait, il y a près de quarante ans, aux insuffisantes peintures religieuses de l’époque un tableau où il faisait revivre les souvenirs de l’art ancien, peut-être n’entendait-il ni encourager par là des tentatives plus radicales, ni proposer d’autres modèles que ceux qu’il avait déjà lui-même préférés. Pour trouver des sources d’inspiration, le peintre du Vœu de Louis XIII n’avait pas voulu remonter au-delà du XVIe siècle, c’est-à-dire au-delà du jour où l’art italien se manifeste dans son développement suprême, dans la plénitude de ses progrès. D’autres artistes crurent ne pas devoir s’arrêter à cette limite. La voie venait d’être ouverte aux révisions et aux recherches ; on s’achemina de l’étude des œuvres appartenant à la seconde renaissance italienne jusqu’aux travaux primitifs, jusqu’au point de départ de l’art lui-même. Pour la première fois en France, les maîtres du XVIe siècle furent pieusement consultés. Les fresques du Campo-Santo de Pise et du couvent de Saint-François à Assise, que l’on n’avait guère estimées jusqu’alors qu’à titre de curiosités historiques, devinrent tout à coup les types par excellence du style religieux.

Rien de plus légitime assurément que cette admiration tardive pour le sentiment robuste et la manière sévère des trecentisti florentins ; rien de plus opportun, à un moment de rénovation, que cette ardeur à étudier l’expression originelle des idées que l’on prétend faire prévaloir. De même que Giotto et les siens avaient trouvé dans l’art byzantin des élémens pour l’art du moyen âge, de même celui-ci devait servir à l’art moderne de principe et d’exemple. Quoi de plus naturel en effet pour reconstituer de nos jours la peinture religieuse que d’interroger ceux qui en ont autrefois fixé les règles et déterminé les premiers progrès ? Le danger était seulement qu’en étudiant avec trop d’abnégation ces maîtres si longtemps méconnus, on oubliât de distinguer entre leurs qualités et leurs faiblesses, entre les calculs de leur pensée et les fautes involontaires de leur main. On pouvait en un mot s’exagérer l’infaillibilité des modèles et la mesure de la docilité imposée aux disciples. Quelques-uns de ceux-ci ne surent pas ou ne voulurent pas se soumettre à demi. Entraînés par leur zèle plus loin que de raison, ils ne craignirent pas d’ériger en système l’imitation absolue des formules pittoresques employées il y a cinq siècles, sans excepter même certaines erreurs matérielles dans les proportions et dans la perspective : erreurs pardonnables là où elles avaient été commises ingénument, mais qui