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séjour en Italie et la vigueur de ses instincts avaient isolé de l’influence académique, M. Ingres, ne craignait pas, en abordant un sujet sacré, de demander ouvertement conseil aux maîtres du XVIe siècle et de représenter la Vierge, l’enfant Jésus et les anges, sous des formes qui n’étaient plus celles des dieux de la fable et des génies antiques. Le Vœu de Louis XIII nous apparaît aujourd’hui comme une œuvre majestueuse, comme une page de haut style, digne du sujet et du maître qui l’a traité. Au salon de 1824, ce tableau pouvait sembler une protestation presque téméraire, et les regards de la foule, habitués depuis longtemps aux contrefaçons de la statuaire grecque ou romaine, crurent reconnaître d’abord un acte de bizarrerie et de caprice dans ce qui n’était en réalité qu’un retour judicieux à l’art de Raphaël. On admira néanmoins la toile de M. Ingres. Le moment était favorable d’ailleurs à tout mouvement de réaction. Si dissemblables que fussent la poétique du peintre de Louis XIII et les doctrines que l’école romantique cherchait alors à faire prévaloir, les artistes applaudirent sans hésiter au succès d’un ouvrage qui avait, entre autres mérites, celui de démentir une méthode surannée et pour ainsi dire d’intimider l’ennemi commun. À partir de cette époque en effet, l’esprit de convention et de routine perdit le privilège de se produire impunément. Il y eut certes, dans un autre sens, plus d’une tentative mauvaise, plus d’une injure au goût, plus d’un défi même à la raison ; mais l’opinion a fait justice aujourd’hui de ces entraînemens révolutionnaires aussi bien que des abus amenés par le régime précédent. Sans exagérer les bienfaits du mouvement opéré dans notre école vers la fin de la restauration, on peut dire que ce mouvement a réussi du moins à développer en nous le sens critique, à nous donner une notion plus saine de l’art et de ses conditions variées. Pour ne parler que de la peinture religieuse, nous avons compris et nous n’oublierons plus qu’elle a ses lois nécessaires, ses traditions, ses formes propres. Nous savons que si elle procède avant tout du sentiment, elle résulte aussi du respect pour les exemples du passé, pour certains types consacrés par le génie des maîtres ou par la vénération des peuples. Le moyen de peindre une figure de la Vierge sans se souvenir des madones de Raphaël ? Comment donner aux hôtes du paradis une apparence contraire à ce que le pinceau de Fra Angelico nous a appris des bienheureux et des anges ? Le point difficile en pareil cas est de se préserver aussi bien de l’imitation servile que de l’indépendance excessive. Cette juste mesure entre l’expression prévue et l’innovation formelle, entre les caractères traditionnels du style et les révélations de l’instinct, M. Hippolyte Flandrin a su la garder dans ses ouvrages avec un tact supérieur et une rare sûreté de goût. Achevons