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l’art une autorité sans réplique ; il y représente la raison souveraine, il est de tous les peintres français le plus profondément sagace, le plus sensé, le plus savant. Comparé aux maîtres de Florence et de Rome, il manque, si l’on ose ainsi parler, d’initiative, et semble tenir pour suffisant, là où d’autres nous dévoilent le beau, de nous faire reconnaître et comprendre le vrai.

Au génie analytique de Poussin opposer l’inspiration naïve, le candide génie de Lesueur, ce serait caractériser par le contraste la physionomie personnelle de deux grands artistes ; ce ne serait pas résumer en deux types les tendances rivales et les évolutions successives de notre école. Si Poussin est l’expression la plus haute des habitudes d’esprit communes à la majorité des peintres français, Lesueur, il faut le redire, apparaît dans l’histoire de l’art national comme un phénomène isolé, comme un maître qui n’a pas eu de devanciers et qui n’aura pas de successeurs. Après lui en effet, où retrouver parmi les œuvres de la peinture religieuse cette simplicité touchante, cette pureté de sentiment dont il savait empreindre jusqu’aux scènes mythologiques, jusqu’aux sujets les moins favorables en apparence au développement de pareilles qualités ? Rien ne se poursuit du progrès commencé, rien ne vient convertir en tradition cette chaste manière, tandis que les doctrines formulées par le peintre des Sept sacremens continuent, non sans se modifier il est vrai, d’inspirer et de régir les entreprises du pinceau jusqu’à la fin du XVIIe siècle. À travers l’ampleur conventionnelle et la pompe souvent oiseuse du style, le souvenir et l’imitation de Poussin demeurent sensibles dans les tableaux appartenant à l’époque de Louis XIV. La Peste d’Egine peinte par Mignard, la Famille de Darius et les autres toiles historiques qu’a signées Lebrun prouvent assez que les maîtres eux-mêmes tenaient à honneur de se montrer en quelque façon les disciples d’une méthode acceptée plus docilement encore par les artistes secondaires. En revanche, là où il s’agit de traduire non plus l’histoire, mais l’Évangile, l’influence et les mâles exemples de Poussin ne suffisent pas pour préserver l’école de l’abus des commentaires, de la recherche et du faux goût. Les peintres de sujets sacrés ne manquent pas en un certain sens d’éloquence, mais cette éloquence procède surtout de la rhétorique. Elle peut, par l’abondance étudiée et le nombre, rappeler la manière de Fléchier : elle n’a rien de commun à coup sûr ni avec le langage sévère de Bourdaloue, ni avec la parole émue et persuasive de Fénelon. Ce serait presque un blasphème que de prononcer en pareil cas le nom de Bossuet.

On a donc le droit de reprocher à la plupart des peintures religieuses du XVIIe siècle leur caractère déclamatoire. Depuis la coupole