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proposée comme un exemple des tendances et des doctrines de notre école durant la période qui clôt le moyen âge. Ici, plus clairement encore que dans les travaux précédens, l’esprit d’arrangement et l’habileté raisonnée prévalent sur l’énergie du sentiment ; l’expression se formule moins austère que jamais. Quelque avertissement sinistre que contienne au fond la scène, une sorte de grâce recherchée, de délicate harmonie linéaire, donne à cette procession de victimes une signification bien différente de la moralité poignante qui ressort, au Campo-Santo de Pise de la terrible fresque peinte par Orgagna. Dans la fresque française, les figures mêmes qui représentent la mort ont quelque chose de régulier, de paisible. Tantôt adroitement drapées par le peintre pour combler les vides de la composition, tantôt nues et discrètement décharnées comme pour faire pressentir le squelette sans en dévoiler la hideux, elles semblent ne s’emparer de leur proie qu’afin de balancer des lignes et de former des groupes se déduisant logiquement les uns des autres. Le sujet, si l’on veut, est bien rendu en ce sens qu’aucune intention malséante, aucun épisode déplacé ne contrarie ouvertement l’impression qu’il s’agissait de produire ; mais cette impression aurait pu être plus profonde, et la leçon morale plus éloquente, si, au lieu de s’en tenir aux combinaisons ingénieuses, l’artiste avait su éprouver et traduire une forte émotion personnelle. N’accusons pas, au surplus, trop sévèrement les défaillances du sentiment religieux dans les œuvres appartenant à l’époque qui précède immédiatement la phase dite de la renaissance. Encore quelques années, et ce sentiment, qui n’était d’abord qu’insuffisant, s’amoindrira jusqu’à l’effacement complet. L’imitation du style antique compliquée des exemples de l’art italien pourra, dans le champ de l’imagination pure, amener une révolution heureuse et susciter de brillans talens. Plus d’un chef-d’œuvre naîtra sous la main des architectes et des sculpteurs, plus d’un précurseur annoncera la venue prochaine de Philibert Delorme et de Jean Goujon ; mais dans le domaine de la peinture, de la peinture religieuse du moins, les efforts pour s’assimiler la manière italienne se résoudront dès le principe en progrès tout extérieur, et bientôt en faux-semblant de puissance. De plus en plus infidèle à ses origines, à ses traditions, à son génie, l’école française arrivera, vers la fin du XVIe siècle, à ne plus attacher de prix qu’à des contrefaçons stériles, à des formes fastueusement vides de pensée.

Le Jugement dernier de Jean Cousin au musée du Louvre et les peintures de Martin Fréminet dans la chapelle du palais de Fontainebleau marquent les deux termes de cette période. Dans le tableau du maître sénonais, l’imitation encore réservée de la méthode italienne