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ne se révéler aux yeux que pour inspirer à l’âme le désir et le pressentiment de l’infini. On dirait que le génie même de l’art français, si soigneur de la vraisemblance en toutes choses, si naturellement exact et méthodique, ne lui permet de s’aventurer dans les sphères idéales qu’à la condition d’y transporter ses habitudes de prudence extrême et de spéculation positive. Seul, Eustache Lesueur a laissé dans ses compositions religieuses une part principale à l’élément surnaturel, aux élans, à l’expression passionnée de la foi ; mais, si glorieuse que soit l’exception, le peintre de la Descente de Croix et de la Vision de saint Benoît n’en demeure pas moins, sous certains rapports, comme dépaysé dans notre école, où les maîtres ont plutôt coutume de persuader l’esprit que de séduire l’imagination ou d’attendrir le cœur.

Si l’on remonte dans l’histoire de l’art national au-delà du XVIIe siècle, on surprendra difficilement chez les peintres du moyen âge et de la renaissance des aspirations plus mystiques, des intentions moins formellement définies. Sans parler de certains monumens antérieurs au règne de saint Louis, — les fresques de Saint-Savin, près Poitiers, par exemple, et quelques autres fragmens de peintures murales où l’on démêlerait peut-être sous l’imitation du style byzantin une sorte de tendance à la véracité pittoresque, — on peut citer comme des spécimens non équivoques de la manière française les travaux des peintres verriers et des miniaturistes à partir du xiii0 siècle. N’exagérons rien toutefois. Le XIIIe siècle, on le sait, fut pour l’architecture et la sculpture en France un siècle béni, une époque toute de création et de progrès. Dans ce grand mouvement de l’art auquel nous devons, entre tant d’autres chefs-d’œuvre, les cathédrales de Reims, d’Amiens, et les figures qui ornent les portails de la cathédrale de Chartres, le rôle de la peinture est demeuré moins éclatant. Le temps, il est vrai, a effacé sur les murs des édifices les vastes compositions qu’y avait tracées le pinceau, et, pour deviner quelque chose de ce que pouvaient être ces décorations monumentales, il nous faut recourir à des textes arides, aux indications succinctes ou incertaines que nous ont laissées de loin en loin les historiens. Là même néanmoins où les documens ont survécu, là où les termes de comparaison subsistent entre les œuvres de la peinture et les œuvres de l’architecture et de la statuaire, celles-ci gardent une supériorité qui atteste que les développemens de la peinture au moyen âge ont été en France relativement peu rapides. À Dieu ne plaise par conséquent qu’aux puissans artistes qui édifiaient ou dont le ciseau enrichissait les églises du XIIIe siècle nous assimilions des talens à tous égards plus modestes, — les enlumineurs des psautiers et les imagiers des verrières ! Ce