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la conformité physique, les habitudes intimes et l’expression de la physionomie diversifient entre les membres d’une même famille certains traits identiques au premier aspect.

Nous ne prétendons ni exagérer l’indépendance de M. Flandrin, ni confondre dans une égale admiration les œuvres qu’il a produites et celles qu’a signées son maître. Il faudrait fermer les yeux à l’évidence pour méconnaître la permanence de l’empire exercé sur le talent de M. Flandrin par les exemples de M. Ingres ; mais il y aurait autant d’injustice à circonscrire la portée de ce talent dans les limites d’une habileté seulement transmise et d’une science d’emprunt. Tout en laissant voir clairement ce qu’il doit aux leçons de Rubens, Van-Dyck nous donne aussi la mesure de ses rares aptitudes, ou, pour choisir des termes de comparaison en meilleur lieu encore, Jules Romain et Bernardino Luini se montrent créateurs à leur tour lors même qu’ils continuent le plus fidèlement en apparence la doctrine de Raphaël ou celle de Léonard. M. Flandrin fait preuve d’une docilité analogue, de ces mêmes habitudes disciplinées qui n’ôtent rien à la sincérité des intentions. Comme Luini par exemple, il choisit entre les souvenirs de la manière révérée ceux qui s’approprient le mieux à ses inclinations plutôt tendres que fières, et les formes de style qui expriment surtout la grâce et la sérénité.

Les travaux de M. Hippolyte Flandrin s’isolent d’ailleurs des œuvres de M. Ingres, et en général des œuvres contemporaines, par la signification morale, par l’ordre de sentimens dans lequel ils ont été conçus. Ces travaux ont un caractère profondément pieux : ils satisfont exactement aux conditions actuelles de la peinture sacrée. Sans complicité avec les fantaisies de l’art moderne comme sans parti-pris plus rétrograde que de raison, sans ostentation archaïque, ils perpétuent la tradition ancienne en l’interprétant dans le sens des progrès accomplis et des exigences de notre temps. C’est là le propre du talent de M. Flandrin quand ce talent s’applique à la représentation des sujets religieux ; c’est cette aptitude à revêtir de formes consacrées des inspirations neuves qui constitue l’originalité véritable d’un peintre partout ailleurs très-habile, mais d’une habileté quelquefois un peu trop voulue, pourrait-on dire. On sait avec quelle supériorité M. Flandrin traite le portrait et quelle longue série de beaux ouvrages il a produite depuis son propre portrait et celui de Mme Oudiné, exposés l’un et l’autre en 1840, jusqu’aux toiles que l’on admirait au salon dernier, jusqu’au portrait de M. le comte Duchâtel, œuvre plus récente encore. Certes il n’y a que justice à louer l’extrême pureté de style, la fine intelligence de la vérité qui distinguent les portraits dus au pinceau de M. Flandrin ; mais ici ce style si sobre est-il toujours exempt d’une secrète aridité ?