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et une organisation qui donne à leur société une certaine consistance. Comme ces hommes s’étaient engagés dans le mouvement révolutionnaire, le gouvernement avisa aux moyens de briser leur force collective. Une sombre rancune aigrissait donc ces esprits incultes. Le 18 septembre, on célébrait par une cérémonie religieuse l’anniversaire de l’indépendance chilienne ; le général Vidaurre-Leal, nommé gouverneur de Valparaiso, était dans l’église avec toutes les autorités de la ville ; les gardes nationaux stationnaient sur la place, avec leurs armes en faisceaux. Tout à coup les portefaix s’élancent sur les fusils pour s’en emparer. La milice citoyenne résiste. Le tumulte qui s’élève retentit jusque dans l’église. Le gouverneur, par un mouvement instinctif, s’élance au dehors pour voir ce qui se passe. Déjà les émeutiers commencent à se disperser, mais au moment où le général plonge ses regards dans une petite rue débouchant sur la place, plusieurs coups de feu sont dirigés contre lui, et il tombe, n’ayant plus que quelques heures à vivre. La mort comme la vie du brave et dévoué Vidaurre justifie l’épithète de Leal (loyal) qu’il avait lui-même ajoutée autrefois à son nom pour protester contre l’odieuse félonie d’un chef militaire qui portait le même nom que lui.

L’assassinat du vainqueur de Peñuelos a fait une impression profonde sur tous les partis : il a sans doute porté le dernier coup à l’esprit de révolte. Il ne paraît pourtant pas que cette horrible catastrophe ait été le résultat d’une préméditation criminelle. Quatre ou cinq émeutiers, pris les armes à la main, ont été jugés militairement. Parmi les individus mis en arrestation se trouvent le sénateur Ossa et ses deux fils : cette famille opulente et fanatique était soupçonnée d’exercer sur les ouvriers du port une influence dangereuse. Les pouvoirs extraordinaires dont le président avait été investi par les représentans légaux du pays viennent d’être prorogés jusqu’au 1er novembre 1860, et le congrès lui-même, convoqué extraordinairement, va avoir à délibérer sur un projet de loi tendant à rendre les conspirateurs de toutes classes responsables des pertes et dégâts matériels occasionnés par les tentatives révolutionnaires.

Tels sont les faits connus jusqu’à ce moment : il est à peine besoin de les résumer, car ils parlent d’eux-mêmes. En Europe, où les incidens de la crise seront jugés avec une expérience calme, tout le monde sentira que l’ordre constitutionnel établi au Chili n’est pas en péril. On ne voit pas là, comme dans certaines républiques espagnoles, des soldats aspirant au pouvoir par le droit du sabre, ni un président cherchant à prolonger illégalement son mandat. Dans quinze mois, une élection présidentielle appellera la nation à