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grand que le monde. Insensiblement son point de vue s’éleva. Le jour vint que, ne trouvant plus la montagne, la mer, l’animal, assez supérieurs à lui pour réveiller dans son âme le sens de l’infini, il détourna vers le ciel son encens et ses prières. Cent mythologies sont fondées sur le mariage du ciel et de la terre. Plus tard, l’homme a cherché, sans la trouver encore, l’unité de la nature, et pendant que le Chinois ne concevait rien au-delà du ciel bleu, premier producteur et moteur de l’univers, l’Aryen voyait dans la lumière l’essence incréée qu’il faut bénir de toute son âme et aimer de tout son cœur. Là où une race active et spirituelle s’est trouvée en présence d’une nature sereine, de proportions modérées, précisément adaptée à ses besoins et à ses goûts, l’homme s’est senti le maître, et, sans se séparer encore de cette nature bien-aimée, il est arrivé pourtant à des divinités complètement humaines. L’Hellène s’est adoré lui-même, tel qu’il se rêvait, puissant, beau, sans douleur, sans soucis. Cependant, au milieu de ces races qui rayonnent des hauts plateaux de l’Asie centrale, s’en trouve une qui, du plus loin qu’elle se connaît, a conscience d’avoir vaincu, dépassé la nature et adoré un Fort invisible qui la dominait elle-même dans sa toute-puissance. Le monothéisme surgit au milieu des paganismes comme une colonne granitique au sein d’une épaisse forêt. La distinction radicale de Dieu et du monde devient ainsi le dogme et la vie d’un peuple de plus en plus unique à mesure que l’histoire se déroule. Au bout de quelques siècles, le monothéisme aspire à la souveraineté ; il prétend se substituer à tout le reste, et il ne pourrait faire autrement sans se renier lui-même, car le seul vrai Dieu doit régner partout. Et pourtant il n’y serait pas parvenu, réduit à sa seule force. De leur côté, les races polythéistes ne pouvaient pas se contenter d’un Dieu trop éloigné d’elles après avoir vécu si longtemps dans l’idée contraire. Le monothéisme ne put compter sur la victoire qu’à partir du jour où un homme unique, sorti de ce peuple unique dont nous parlions tout à l’heure, sentit dans son cœur pur que notre Père, qui est aux cieux, était aussi en lui, et devait être en nous tous. La Grèce, qui d’abord ne comprit rien à pareille chose, finit par abandonner ses Apollons et ses Jupiters pour se prosterner devant l’homme-Dieu, et toutes les divinités qui remplissaient le Panthéon durent tomber de leur piédestal, vaincues par le seul Dieu dont l’image manquât parmi elles. Son sanctuaire était le seul où les soldats romains n’eussent pas trouvé de statue à rapporter en triomphe. Voilà pourquoi leur victoire sur les Juifs n’empêcha pas Jehovah d’être plus fort que les césars. Le génie d’Israël était invincible, parce qu’il était insaisissable, et au fond les prophètes et les psalmistes avaient bien raison de proclamer la supériorité