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des députés le plus enflammé contre le projet, celui qui déploya le plus d’aigreur dans la discussion, avait envoyé six mois auparavant, en sa qualité de directeur du chemin de fer, une adresse au gouvernement, dans laquelle on lui demandait ce que la loi devait plus tard octroyer, adresse à laquelle le pouvoir exécutif ne put pas répondre, parce que c’était une question de la compétence du congrès.

C’est ainsi que finit la session de 1858, perdue pour le pays, et seulement profitable à ceux qui voulaient amener une crise. Il n’y eut pas d’expédient qui ne fût mis en œuvre pendant toute cette session afin d’exciter les esprits, d’entraver l’administration dans sa marche, de semer la méfiance dans la république. Tout acte de l’autorité était interprété dans le sens le plus ignoble, et comme on désespérait de la mettre en échec légalement au moyen des majorités, on s’appliquait à retarder les décisions utiles, comme pour suspendre la vie nationale. La presse, de son côté, s’était engagée dans une voie pleine de périls pour elle-même, car si la masse du public, dans les jours de trouble, paraît applaudir à une polémique excessive, il arrive bientôt des jours de calme et de juste appréciation où ce même public, pour excuser ses propres torts, s’élève à son tour contre la presse, et professe pour les droits de la publicité un dédain dont les ennemis de la liberté ne manquent pas d’abuser.

La presse chilienne prit donc, vers la fin de 1858, un ton de dénigrement et de violence qu’elle n’avait pas eu dans les commotions intérieures de la république. Bien décidés, et pour cause, à ne formuler aucun programme, les journaux du parti pelucon s’en tenaient à développer dans tous les sens le thème de l’immoralité administrative ; on abusait jusqu’à la licence du dédain, inopportun peut-être, avec lequel l’autorité tolérait des articles déclamatoires et gonflés d’amertume, des moqueries incisives, des caricatures où l’on faisait figurer par exemple tous les hommes du pouvoir se partageant les revenus publics. Tout était mis en jeu pour enlever à l’autorité l’influence morale qui est son principal moyen d’action dans un état populaire. Le gouvernement avait en son pouvoir les moyens de réprimer ces agressions, car, en supposant que le jury consulté en matière de presse ne lui fût pas entièrement favorable, l’action criminelle devant les tribunaux ordinaires, pour faits d’injures et de calomnies, restait ouverte. Cependant, soit que le président et ses ministres jugeassent indigne d’eux de discuter leur probité devant les tribunaux, soit qu’ils pensassent que le débordement même de la presse deviendrait la justification évidente des mesures qu’il faudrait enfin prendre pour sauver l’ordre public, le fait est qu’on s’abstint de poursuites judiciaires.

Penchant ce temps, la fusion, comme on dit au Chili, s’était consolidée :